“Une vraie rencontre, une rencontre décisive, c'est quelque chose qui ressemble au destin.”
Tahar Ben Jelloun
Bonjour à tous !
Les débuts naissants d'un nouveau roman, c'est toujours
trop cool ! L'excitation, l'enthousiasme et bien d'autres émotions super punchy ! Mais seule face à son ordinateur, c'est pas toujours très rigolo et on a envie de le partager ! Alors c'est parti pour le faire vivre ! J'espère qu'il vous plaira !
N'hésitez pas à laisser un petit signe de votre passage et à commenter, que vous ayez aimé ou pas !
A bientôt,
Marie.
Chapitre 1
-Je peux faire
quelque chose pour vous ? Répéta Juliette en haussant un sourcil.
L’homme assis
en face d’elle, le regard dans le vide, portait une parka longue, beige et
imperméable. Elle jeta un œil vers la fenêtre, dubitative. Qui aurait eu l’idée
de mettre un tel accoutrement un jour pareil ? Aucune personne saine
d’esprit, ça c’est sûr ! Alors certes, il existait à sa connaissance
certain être humain qui aimait être paré à toutes éventualités et qui
trimballait constamment de gros sacs à dos contenant toutes sortes de bazars
parce qu’« on sait jamais », mais tout de même ! Il n’y avait pas
un nuage dans le ciel et il faisait déjà 28° alors qu’il n’était que dix heures
du matin.
L’homme releva
la tête et posa sur elle un regard brun noisette, vide, vitreux,
fiévreux ? Il entrouvrit la bouche, prit un instant comme s’il cherchait
quoi lui répondre, pour finalement affaisser ses épaules, abandonnant toute
tentative de communication.
C’était la
première fois que Juliette le voyait au diner.
Ce qui n’était guère étonnant. Perdu au milieu de nulle part, ce petit
établissement propre, mais vieillot n’attirait que peu d’habitués. Seule oasis
en bord de route et dernier arrêt avant les étendues désertiques du Nevada, il
était à la fois trop proche de l’autoroute pour avoir des clients et trop près
de l’autoroute pour avoir des clients. Leurs principaux visiteurs étaient
plutôt des routiers lassés des voix prioritaires et en quête d’un peu de
calories pour recharger les batteries ou de caféine pour effacer les stigmates
d’une nuit au volant, espérant ainsi avaler un maximum de kilomètres avant de devoir
déclarer forfait et de dormir recroquevillés dans leur cabine. Ils venaient,
ils mangeaient, buvaient, utilisaient les commodités et repartaient comme ils
étaient venus, bien souvent pour ne jamais revenir. Juliette haussa les
épaules. Si elle exagérait à peine, elle exagérait un peu quand même. Le petit
café-restau route comptait tout de même quelques irréductibles qui venaient
tous les jours ou presque. Sur la route du boulot pour un café, sur la route du
retour pour une bière ou pour un plat vite avalé pour tromper la solitude d’un
petit appartement sous les toits. Il faut dire que dans le patelin du coin, qui
n’était pas tellement éloigné si l’on avait la chance de posséder un véhicule à
roue(s), il n’y avait pas grand-chose à faire, ni grand monde à rencontrer. Les
âmes en peine qui n’avaient pas eu la chance de sortir du lycée au bras de
l’âme de leur vie n’avaient plus que deux solutions : partir vers d’autres
horizons ou s’accommoder de la solitude qui serait certainement la leur jusqu’à
la fin. Une troisième option existait pour ceux qui voulaient bien y
croire : espérer qu’une âme vienne se perdre dans cette ville sans
intérêt. Mais là-dessus, il ne fallait pas trop y compter : les nouveaux
arrivants s’arrêtaient tous à Last Rainbow pour les mêmes raisons : la
fuite, le silence et la solitude. En résumé, ils venaient s’enterrer ici pour
qu’on leur fiche la paix. Juliette en savait quelque chose, c’était son cas.
Juliette
reporta son attention sur l’homme qui n’avait toujours pas répondu à sa
question. C’était un homme sans âge, les cheveux vaguement poivre et sel, un
visage mi-lisse, mi-ridé et une grande fatigue lui lestant les épaules. Rien
qu’à le regarder, elle se sentait épuisée. Il était entré dans le diner voilà plus de quinze minutes,
d’un pas décidé, et s’était assis au comptoir pour finalement ne rien demander
et ne pas ouvrir la bouche. Juliette le regarda, sceptique. Quelque chose, elle
n’aurait su dire quoi, la mettait profondément mal à l’aise. Lasse de toutes
ces tergiversations qui n’en finissaient plus, Juliette haussa les épaules en
affichant un sourire gêné.
-Je vais vous
chercher un café. Je ne sais pas si c’est ce que vous voulez, mais c’est
certainement ce dont vous avez besoin !
∞
Juliette
tourna encore de longues heures entre les tables, prenant une commande par-ci,
servant un café par-là, un inlassable sourire figé par l’habitude sur son
visage. D’un naturel avenant, elle souriait volontiers, même lorsque le cœur n’y
était pas vraiment (ce qui n’arrivait presque jamais). Elle avait aussi le gout
du travail bien fait. Elle n’avait jamais compris l’intérêt de faire quelque
chose à moitié. Ou de le faire entier, mais de le faire mal fait. Depuis
toujours, quoi qu’on lui demande ou quoi qu’elle fasse, elle le faisait
correctement et en donnant le meilleur d’elle-même. Que cela lui plaise ou pas.
« Fais-le, ou ne le fait pas » avait dit un jour maître Yoda. Cela
aurait pu être un de ces maximes que l’on se tatoue sur le bras à l’encre
blanche (ou rouge, peut-être, cela pourrait être joli aussi !), pour que
toujours l’on se rappelle la ligne que l’on avait choisi de suivre. Quoi qu’il
en soit, elle était serveuse. Son travail n’était pas seulement d’amener à un
point A ce que désirait quelqu’un, c’était aussi de le faire avec grâce,
dignité et humanité. Un sourire ne coûtait pas grand-chose et, il ne fallait
pas se mentir, il fallait aussi garder le peu d’habitués qu’il y avait. Peu de
chances qu’ils reviennent s’ils étaient confrontés à un dragon mal aimable qui
ne montrait ses dents que pour grogner et ronchonner. Aussi, Juliette souriait.
C’était son travail et elle avait choisi de le faire correctement.
Elle apporta
un grand café glacé avec trois morceaux de sucre et supplément de chantilly à
Henri qui attendait sagement à sa table habituelle. Celle près de la fenêtre,
qui donnait directement sur le parking. Henri était vieux. Facilement 70 ans.
Peut-être plus. Et comme tous les vieux, ou presque, Henri avait peur. Il avait
peur de la mort évidemment, de la maladie aussi, parce que comme il le disait
lui-même « je ne suis pas tout jeune, le moteur tourne encore, mais les
joints sont usés… ». Il avait peur des étrangers, même s’il n’était
raciste, attention ! Et par-dessus tout, Henri avait peur des vols et de « ces
abrutis de jeunes qui cassent tout » ! Aussi, la place à côté de la
fenêtre lui paraissait appropriée pour surveiller sa petite, mais aussi vieille
que lui, automobile. Juliette lui avait
indiqué plusieurs fois où se trouvait la caméra sur le parking. Qu’il se gare
en dessous et la caméra surveillerait ses affaires pour lui. Ainsi il pourrait
s’éloigner un peu du four qui lui servait de table et se rapprocher du
climatiseur fatigué qui continuait néanmoins coûte que coûte à rafraichir
l’atmosphère du petit café-restau-route. Mais Henri n’avait pas confiance, la
technologie, ça pouvait défaillir. Alors que lui, non ! Alors Juliette
avait abandonné et se contentait à présent de lui apporter sa commande
quotidienne en lui demandant comment s’était passée sa journée. Il répondit
comme d’habitude, en haussant les épaules :
-Bof, ni bien,
ni mal. Ce n’est plus de mon âge tout ça.
Mais Henri
n’avait pas d’enfants, ni de famille d’ailleurs. Alors il continuait de se
lever chaque matin à 4 heures pour aller donner un coup de main aux
agriculteurs du coin contre quelques dollars qui lui permettaient de rester en
vie. Henri avait eu sa propre ferme dans le passé et il n’en était pas peu
fier. Il avait déjà raconté à Juliette à maintes reprises les pierres blanches,
l’herbe roussie par le soleil, le vêlement des veaux qui ont trop chaud et le plaisir
de parcourir chaque jour la caillasse qui est à soi. Puis le temps avait passé,
l’argent avait commencé à manquer et Henri avait vendu sa ferme en espérant que
cela suffise pour ses vieux jours. Spoiler ! Cela n’avait pas suffi alors
il avait recommencé. L’herbe jaunie, le vêlement des veaux, parcourir la
caillasse. Mais cette fois, cela n’était à lui mais aux fils de ses anciens
voisins qui l’avaient toujours connu et pris en affection. Juliette les
soupçonnait parfois de lui donner un peu plus que ce que méritait réellement
son travail, mais tant mieux ! Cela signifiait que l’humanité existait
toujours !
Henri porta
ses lèvres à son verre et sourit de contentement en remerciant Juliette. Elle
lui répondit, comme d’habitude, par son traditionnel « à ton
service ! » et repris la ronde des tablées. Les routiers ne
tarderaient plus à s’en aller pour laisser place aux compagnons du quotidien
qui débauchaient petit à petit et les uns après les autres. Juliette, elle, ne
débaucherait que tard ce soir, une fois le dernier habitué partit et le patron
arrivé pour prendre le relais.
Elle servit
une grande assiette de frites à une femme qui lui paraissait grande comme un
immeuble de trois étages, une salade à un jeune homme en costume cravate qui
s’était probablement perdu mais qui n’osait pas demander son chemin (ou qui
était trop fier pour le faire !) et un certain nombre de tasses de café et
de verres de soda glacé. Et parmi le va-et-vient régulier de ceux qui entrent
et ceux qui partent, l’homme à la parka beige était toujours là.
Il n’avait pas
bougé. Il était toujours assis à la même place, dans la même position. Il
n’était pas allé aux toilettes, n’avait pas enlevé son manteau et n’avait pas
touché au sandwich que Juliette avait cru bon de lui apporter. En revanche, il
avait bu toutes les tasses de café qu’elle lui avait donné. A chaque tour de
salle que Juliette faisait de son mieux pour vérifier que chacun avait son
compte, elle ne pouvait s’empêcher de lui jeter des regards curieux. Même de
dos, cet homme semblait porter le poids du monde sur ses épaules. Qu’attendait-il
pour partir ? Ou pour dire quelque chose ? N’était-il pas attendu
ailleurs ? Peut-être pas… D’ailleurs, c’était peut-être ça le problème.

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