mercredi 3 septembre 2025

Roman en cours - Chapitre 2


"L'ordre est une tranquillité violente"

Victor Hugo

Bonjour à tous chers lecteurs ! 

Vous l'avez réclamé (si, si, si j'en suis sûre !), alors le voilà ! Ci-dessous le deuxième chapitre ! De rien, ne me remerciez pas !

N'hésitez pas à me laisser un petit mot, car malgré les visites sur le blog, les avis sont rares ! N'hésitez pas non plus à me laisser le votre (si vous écrivez, je me ferai un plaisir d'aller jeter un œil !).

Bonne lecture et à bientôt !

Marie

Chapitre 2

L’homme à la parka beige avait quitté ses pensées depuis longtemps lorsque Juliette inséra la petite clef en cuivre dans la serrure de son appartement. Sitôt la porte du diner passée et celle de sa voiture refermée, elle l’avait chassé de son esprit pour se concentrer sur ce qui l’attendait. Le patron était arrivé tard, mais il avait aussitôt libéré Juliette et Michel, le cuisinier, en profitant pour les engueuler. Pourquoi ils ne l’avaient pas appelé pour lui signifier l’heure qu’il était ? Il s’était endormi dans son fauteuil et avait oublié le monde extérieur pendant plusieurs heures ! L’avantage, c’est qu’il était en pleine forme et que l’établissement pourrait ainsi rester portes ouvertes jusqu’à tard dans la nuit. Même si, comme d’habitude, il n’accueillerait probablement personne. Le patron travaillait toutes les nuits, jusqu’à ce que son corps lui rappelle qu’un être humain a parfois besoin de dormir. Il ne ménageait jamais ses efforts et mettait toujours un point d’honneur à libérer ses employés à l’heure ! Parfois, il y avait des loupés, comme ce soir, mais cela ne dérangeait pas Juliette. Elle n’avait jamais rien de mieux à faire de toute façon. Le patron les avait chassés en moins de trois minutes, en leur braillant dessus qu’il ne voulait pas les voir avant neuf heures le lendemain matin. « Ce n’est pas parce que vous êtes des employés modèles qu’il faut passer votre vie ici bordel ! Allez faire autre chose de votre vie ! Allez oust ! » avait-il hurlé. C’était sa façon de s’excuser.

La porte grinça lorsqu’elle la poussa doucement. L’appartement était plongé dans la pénombre, éclairé seulement par la lueur des réverbères qui éclairaient le contrebas de la rue où elle habitait. Juliette n’alluma pas la lumière, elle aimait cette ambiance qui aspirait au calme et à la lenteur. Elle mit de l’eau dans sa bouilloire flambant neuve, petite folie qu’elle s’était offerte la semaine passée. Elle en avait eu assez de faire bouillir son eau dans une casserole et c’était Michel qui lui avait dit « mais achète toi une bouilloire bon sang ! Ça coûte que dalle en plus ! ». Alors, mardi matin dernier, elle était arrivée un peu en retard au travail pour la première fois. Elle s’était arrêtée dans un magasin d’électroménager et s’était perdue entre tous les modèles de bouilloire qui existaient. Juliette était émerveillée ! Jamais elle n’aurait pensé qu’il pouvait en exister autant. Elle avait même pris le temps de demander conseil à l’employé du magasin qui n’en avait clairement rien à cirer. Peut-être que si elle était venue acheter une piscine ou un jacuzzi, il y aurait mis plus d’intérêt. Juliette avait choisi celle qu’elle trouvait la plus jolie, au design un peu vintage, d’un beau vert olive. Elle n’était pas high tech mais cela n’avait pas d’importance, elle ne voyait pas l’intérêt d’une bouilloire connectée de toutes façons.

-Mais si, c’est génial au contraire ! Avait essayé de la convaincre l’employé, imaginez ! Vous sortez du boulot, vous lancez votre bouilloire à distance et hop ! Quand vous rentrez, l’eau est déjà chaude ! C’est super non ?

Juliette avait dit oui de la tête, mais avait quand même acheté l’autre. Elle n’était quand même pas pressée au point de ne pouvoir attendre quelques minutes devant sa bouilloire qu’elle chauffe ! Michel l’avait félicité lorsqu’il l’avait vu entrer dans le restaurant avec son trésor sous le bras. Et Juliette s’était sentie fière ce qui avait aussitôt effacé la petite pointe de culpabilité d’être arrivée en retard, même si ce n’était que dix minutes.

Elle lança un sachet de thé dans la tasse fumante qu’elle avait posé sur le comptoir, avant de la soulever avec précaution pour ne pas se brûler et aller s’asseoir dans le fauteuil qu’elle avait disposé devant la fenêtre. Elle posa son thé bien trop chaud sur le tapis et se recroquevilla dans son siège. Tous les soirs, c’était pareil. Elle pourrait arrêter la bouilloire à mi-parcours, mais non. Alors qu’elle l’aimait tiède, elle n’arrivait pas à s’y résoudre. Un bon thé était un thé tellement bouillant qu’on ne pouvait y tremper ses lèvres sans en avoir des cloques. Et puis, elle n’irait pas se coucher tant qu’elle n’en aurait pas bu jusqu’à la dernière goutte. Alors cela faisait durer ce moment. Son préféré de la journée peut-être. Un moment hors du temps, où rien d’autre n’existait qu’elle, son thé et son fauteuil. Un moment hors du temps, où tout existait autour d’elle et durant lequel elle pouvait presque sentir les pulsations du monde qui tournait inexorablement autour d’elle, en l’oubliant dans sa course. Juliette aimait la douceur de son vieux fauteuil, rassurant, contenant et le goût sucré de son thé sous la langue. Elle aimait regarder par la fenêtre et décortiquer chaque chose qu’elle y voyait, même si c’était les mêmes chaque soir depuis neuf ans. Elle regardait la cime des arbres qui dansaient doucement dans le vent, les derniers passants qui se hâtaient de rentrer chez eux. Elle avait beau habiter ici depuis presque une décennie, elle n’en connaissait pas la moitié. Elle les avait déjà tous vu bien sûr, mais elle ne connaissait pas leur nom. Elle en avait inventé et s’était parfois imaginée leur vie, mais n’avait jamais pu vérifier si elle était dans le vrai ou pas. Parfois, des éclats de voix lui parvenaient par la fenêtre qu’elle avait relevée pour laisser entrer la brise presque fraiche du début de la nuit. Alors elle tendait l’oreille. Elle n’entendait pas les mots, mais pouvait saisir les intonations. Une maman excédée qui criait sur ses enfants (qu’avaient-ils encore fait ?), un rire, un bébé qui pleure… Tout cela venait alimenter son imaginaire. Et une fois qu’elle avait tout regardé, qu’elle s’était assurée que tout était encore comme la veille et l’avant-veille, elle laissait son esprit se perdre loin, bien loin de là où elle était. Dans la chaleur de son appartement sombre et rassurant, elle laissait son corps prendre le repos dont elle avait besoin et laisser son esprit construire ce dont il avait envie.

Juliette aimait son appartement. C’était l’étage d’une maison qu’elle partageait avec Marthe, une jeune dame d’à peine soixante ans (mais trente dans la tête !). Lorsqu’elle avait débarqué, neuf ans, quatre mois et dix jours auparavant à Last Rainbow ; au volant de sa petite voiture avec dans le coffre une valise et un carton qui contenaient tout ce qu’elle avait voulu garder, elle avait directement atterri au Jo’s Burger dans l’espoir d’y trouver un sandwich pas trop cher et un café pas trop mauvais. Elle en était sortie plusieurs heures plus tard avec le ventre bien rempli, un boulot et, sur un post-it, l’adresse de Marthe. Le patron lui avait plu, le rire tonitruant de Michel aussi. Elle avait besoin d’argent, le restaurant avait besoin d’une serveuse. Le coin semblait tranquille et Juliette aspirait au calme. Alors elle avait dit oui, sans enthousiasme, mais pas déçue non plus. Acceptant simplement une opportunité qui se présentait à elle.

Elle avait toqué à la porte en bois blanc en fin d’après-midi. Marthe avait ouvert quasiment instantanément en lui jetant un regard méfiant. Elle était grande, fine et se tenait droite. Elle respirait la prestance, l’autorité, le charisme, mais aussi un je-ne-sais-quoi, d’apaisant et de bienveillant.

-C’est toi Juliette ? 

Juliette avait hoché la tête, un sourire timide sur le visage. Elle se sentait intimidée par cette femme aux cheveux poivre et sel, tirés en une longue queue de cheval qui retombait sur son épaule, et qui contrastaient avec son visage sans une seule ride.

-Le patron m’a averti que tu allais passer.

Les deux femmes s’étaient longuement dévisagées, se sondant l’une l’autre. Puis Marthe avait souri et ouvert en grand sa porte d’entrée.

-Aller, entre !      

S’en était suivie une longue visite de la maison, pièce par pièce. Marthe avait commencé par le rez-de-chaussée. Même si Juliette ne devait pas y avoir accès, si ce n’est l’entrée de la maison pour accéder aux escaliers qui lui faisait directement face, l’appartement ne disposant pas d’accès indépendant, Marthe tenait absolument à ce qu’elle puisse visualiser où elle allait vivre. Ainsi, d’après elle, il n’y aurait pas de mystères, la curiosité serait tuée dans l’œuf et les deux femmes pourraient vivre chacune de leur côté sans s’occuper de l’autre. « Et puis, avait-elle ajouté, moi je sais où tu vas vivre, il est juste que tu connaisses aussi mon espace ! ». Marthe ne lésinait jamais sur les détails lorsqu’elle racontait une histoire. Chaque pièce avait son lot de souvenir et d’anecdotes et il était, d’après elle, essentiel que Juliette les connaisse. Ainsi, elle apprit que Marthe avait cinquante-et-un ans et qu’elle était divorcée. Elle avait un grand garçon de vingt-sept ans et une jeune fille de vingt-quatre. Lorsqu’ils avaient quitté le nid pour leurs études, Marthe avait d’abord essayé de vendre la maison dans l’espoir de pouvoir racheter de quelque chose de plus petit. Voir, pourquoi pas après tout, dans l’espoir de quitter ce trou pourri et de partir vivre la grande aventure sur l’une des deux côtes du pays. Il n’est jamais trop tard, et l’une ou l’autre lui irait très bien ! Mais personne n’en avait voulu. Personne n’avait même daigné venir y jeter un coup d’œil. Les espoirs de Marthe s’étaient taris aussi vite qu’ils étaient nés et il y a un an, elle avait décidé de mettre le premier étage à la location. Mais là aussi, elle n’avait pas attiré les foules. Seuls deux garçons étaient venus visiter il y avait de ça quelques mois, mais ils n’avaient pas voulu rester. Depuis, c’était silence radio.

-En même temps, je les comprends ! C’est dans son jus, tu vas voir ! Ne t’attends pas à un palace, tu vas être déçue ! Je n’ai fait aucun travaux. Pas même un brin de ménage, alors il faut un peu d’imagination pour se projeter !

Le seul aménagement que Marthe avait concédé à faire, c’était installer une porte en haut des escaliers pour donner un minimum d’intimité à son locataire. Lorsqu’elle avait ouvert la porte, Juliette était restée silencieuse pendant que Marthe lui faisait faire le tour du propriétaire en insistant à chaque recoin sur les inconvénients de telle ou telle chose. Il lui semblait très important que Juliette sache où elle mettait les pieds.

Juliette, elle, n’était pas si catastrophée que sa propriétaire aurait voulu qu’elle soit. Alors oui, c’était un peu particulier. Il y avait quatre grandes chambres, mais pas de cuisine ce qui était très curieux pour un appartement. Mais en même temps, Marthe lui assurait qu’elle pouvait réaménager l’appartement comme elle le voulait. Rien ne l’empêchait donc d’acheter un frigo et un réchaud pour commencer. Cela irait très bien. Non, décidément, l’appartement lui plaisait. Il était grand, vieillot mais pas ringard. Il était entièrement meublé (à part la cuisine évidemment) et Marthe la laissait libre de choisir ce qu’elle désirait garder ou pas.

                -Tu auras qu’à vendre ceux que tu ne veux pas, ça te fera de l’argent de poche ! Avait-elle dit à Juliette.

                La décoration était quasiment inexistante, mais avec de nouveaux rideaux aux fenêtres et une plante par ci, par-là, cela devrait être cosy. Il y avait de l’espace, peut-être un peu trop. Cela serait nouveau pour elle, mais elle était sûre de s’y accommoder sans problème.

                -C’est combien par mois ?

                -Trois-cents. Payable le premier du mois. Ça t’irait ?

                -Et les charges ?

                -Y en a pas !

                Juliette lui avait lancé un regard étonné.

                -La maison est bien isolée, pas besoin de chauffer beaucoup pour avoir chaud. Et tu n’as pas l’air frileuse ou du genre à passer trois heures sous la douche tous les jours. Je fais gaffe. Alors si tu fais gaffe aussi, je les prends à ma charge. Si t’abuses, on verra à ce moment-là !

                Juliette ne répondit pas. D’un seul coup, elle ne savait plus trop.

                -C’est quoi le piège ?

                Marthe éclata de rire ce qui éclaira son visage. Juliette se sentit aussitôt rassurée.

                -Je peux emménager quand ?

                -Décidément, tu me plais toi !

                Juliette avait emménagé le jour même. Elle avait mis du temps avant de réellement prendre ses marques. Les premiers jours, elle errait dans son grand appartement sans savoir quoi en faire. Elle avait commencé par aménager sa chambre. Elle n’avait pas choisi la plus grande, mais celle qui lui paraissait la plus rassurante. Elle était jolie avec un papier peint un peu délavé sur les murs et un grand lit à tête en bois. Elle avait changé les draps, lavé le par-dessus et installé ses vêtements dans le placard. Elle avait également pris possession de la salle de bain en y installant sa brosse à dents et en y changeant les serviettes. Les premières semaines, elle s’enfermait dans sa chambre et n’en sortait que pour prendre sa douche ou aller aux toilettes. Elle ne se sentait pas vraiment chez elle. Et puis elle n’avait pas besoin d’autant d’espace finalement ! Une chambre de taille moyenne et des commodités lui suffisaient amplement.


                Et puis un soir, elle avait commencé à s’ennuyer. Elle avait atterri ici depuis environ six semaines lorsque le patron lui avait laissé un après-midi de libre (pour qui ? pour quoi ? personne n’en savait rien, mais c’était comme ça !). Juliette s’était d’abord promenée dans les environs de sa maison. Mais comme il faisait chaud et qu’il n’y avait rien à faire, elle était rentrée chez elle pour attendre que le temps passe. Mais attendre, c’est vraiment long lorsqu’on n’a rien à faire ou rien à penser. Juliette avait commencé à tourner en rond. Elle avait fait un peu de ménage, mais dans une chambre de quinze mètres carrés, ça va vite ! Elle s’était aventurée à laver les toilettes et la salle de bain, puis, de guerre lasse, elle s’était laissée aller à tourner en rond sur une plus grande circonférence, allant de pièce en pièce à la recherche d’un truc à faire. Elle avait ouvert chaque placard, espérant y trouver un livre oublié ou, même, des aiguilles à tricoter et du fil. Elle n’y connaissait rien, mais essayer d’apprendre l’occuperait peut-être un peu. Mais elle ne trouva rien. Lorsqu’elle eut fini de fouiller la dernière chambre, elle se surprit à penser « mais qu’est-ce que je ferais de cet espace si j’étais chez moi ? ». Elle trouva que c’était un lieu intéressant pour installer la cuisine. Là, sur le bureau, elle pourrait installer un micro-onde et, à côté, une gazinière. Ou une plaque électrique peut-être ? Non, du gaz. Ce n’était pas moins cher, mais au moins, elle ne ferait pas payer le prix de sa cuisine à Marthe qui s’entêtait à ne pas vouloir qu’elle participe aux charges. Elle pourrait elle-même financer ses bouteilles de gaz ! Dans le coin opposé, elle verrait bien la place du réfrigérateur. Une petite table avec des chaises au milieu. Un peu de déco et, si elle osait, un four pour y faire des gâteaux. Qu’est-ce qu’elle ne ferait pas si elle était chez elle ?

                Aussi, avait-elle commencé à démonter le lit qui prenait toute la place et le déplaça dans la plus grande chambre qui deviendrait un genre de débarras de tout ce dont Juliette ne se servait pas. Dans une autre chambre, elle trouva une petite table en rotin accompagnée de deux chaises du même acabit qui seraient du plus bel effet dans sa nouvelle cuisine dépourvue de tout électroménager.
Il était tard lorsqu’elle eut fini de déménager et de réaménager. Trop tard pour aller au magasin acheter de quoi agrémenter sa nouvelle pièce. Elle irait le lendemain. Mais le lendemain, elle n’y alla pas non plus. En discutant avec Michel, elle avait appris qu’il existait quelque chose de fabuleux qui permettait d’acheter des choses pour quasiment rien : les vides maisons. Et à Last Rainbow ce n’était pas cela qui manquait. Alors c’était devenu une habitude et elle avait parcouru toutes les maisons qui se vidaient aux alentours à la recherche des bonnes affaires qui viendraient garnir son nouveau chez elle. Petit à petit, c’est l’appartement entier qu’elle avait aménagé. Une chambre pour dormir, une pour cuisiner (même si elle devait avouer qu’elle avait rarement servi à quelque chose !), une pour stocker. Dans la dernière, elle avait installé un petit salon avec son fauteuil fétiche qu’elle avait déniché pour rien dans une maison désormais dépourvue d’âme et qui le resterait probablement longtemps. Elle avait mis au sol un vieux tapis pour cacher le parquet abîmé et une grande bibliothèque qu’elle avait eu toutes les peines du monde à ramener chez elle. Elle avait chiné de nombreux bouquins qu’elle n’avait jamais eu le temps de lire, mais qui l’attendaient pour le nouvel élan d’ennui qui viendrait peut-être un jour. Un peu de déco : des bibelots sans queue ni tête mais qu’elle trouvait rigolos, des tableaux qui l’aidaient à voyager lorsqu’elle était trop fatiguée, des vases avec des fleurs séchées… L’appartement était éclectique, donnant l’impression d’un joyeux bazar non réfléchi, mais Juliette s’en moquait. Elle aimait chacun de ces objets parce qu’ils lui appartenaient et qu’elle les avait choisis. Désormais, elle se sentait chez elle ce qui n’était jamais arrivé auparavant.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire