samedi 13 septembre 2025

Roman en cours - Chapitre 3

"La réalité... quel drôle de concept !"

Robin Williams

Oyé Oyé ! Et oui, le voici, le voilà ! Le chapitre 3 ! Alors à vos lunettes, lentilles et autres tasses de café ! Et surtout, à vos claviers ! On n'hésite surtout pas à laisser un signe de son passage, un avis, un mot, un poème, un coucou ! Bref, ce que vous voulez !
Merci pour vos visites !

A très vite !
Marie

Chapitre 3

Juliette se gara sur le parking du Diner à 9h pétante le lendemain matin. Autour d’elle, trois voitures se regardaient en chien de faïence. Michel n’était pas encore arrivé, mais elle en reconnu deux et en déduisit que la troisième était probablement celle d’un voyageur égaré assoiffé de caféine. La petite clochette installée à la porte cliqueta joyeusement lorsqu’elle la poussa. Les grommèlements du patron ronchonnant contre un je-ne-sais-quoi qui ne fonctionnait pas lui parvinrent aux oreilles et elle fonça derrière le comptoir pour se faire un café au lait qu’elle dégusterait à petites gorgées entre deux commandes. Un goût de tous les jours, qui lui convenait très bien.

Elle glissait une paille en papier dans la grande tasse remplie à ras bord quand elle se retourna. Juliette manqua d’en renverser la moitié sur le sol (heureusement, il n’en fut rien, cela l’aurait contrariée de devoir commencer sa journée en passant la serpillère). L’homme à la parka beige était revenu (ou encore là ?). Il avait changé de place pour prendre celle de la fenêtre mais il avait exactement la même dégaine que la veille. Les cheveux en bataille, le même regard perdu, la même posture. Juliette n’avait pas les souvenirs suffisamment affutés pour constater s’il avait ou non changer de chaussettes, mais elle aurait mis sa main à couper que c’était les mêmes. Un peu déstabilisée sans trop savoir pourquoi, Juliette poussa la porte de la cuisine. Elle tomba nez à nez avec le derrière de son patron qui, les quatre fers en l’air, inspectait scrupuleusement le dessous d’une table, tournevis à la main.

-Salut boss. Tu fais quoi ?

-A ton avis bordel ?

-Probablement de la spéléologie…

-La table s’est cassée la gueule ! Ça fait deux heures que j’essaye de refixer le pied, mais ça tient pas !

-J’imagine que tu as essayé de remettre une vis ?

Le patron hurla quelque chose d’inintelligible qui pouvait probablement se résumer par « tu me prends pour un con ? » avant de sortir une tête fatiguée de dessous la table. Il poussa le meuble accidenté dans un coin de la cuisine.

-Je vais aller dormir trois ou quatre heures et j’irai acheter de nouvelles vis, j’essayerai de la réparer ce soir. J’ai besoin de te préciser qu’il ne faut rien poser dessus ?

-Ca devrait aller je pense.

-Super ! Aller, passe une bonne journée, je viendrai tôt ce soir pour essayer de réparer cette fichue table ! Avec un peu de chance, tu devrais pouvoir débaucher de bonne heure !

-Merci chef. Dis-moi, ce type à la parka jaune, vous le connaissez ?

-Quel type ?

               Il était dix heures et Michel n’était toujours pas arrivé. Elle avait commencé par résumer le menu du jour à la seule chose qu’elle savait parfaitement cuisiner : les omelettes au fromage (avec ou sans coquilles ?). Pour le reste, les clients difficiles avaient deux options : attendre l’arrivée, ils l’espéraient tous, certainement imminente de Michel ou alors repartir le ventre vide. Ainsi avait-elle cassé une douzaine d’œufs, servie quatre omelettes approximatives, répétez trois fois « non, il n’y a pas de burgers au menu ce matin » et servi une dizaine de tasses de café (pour ça, elle savait parfaitement se débrouiller). Juliette n’avait pas chômé, pourtant elle avait tout de même trouvé le temps de devenir zinzin. Car malgré la ronde incessante des commandes de bon matin, la danse infernale du fouet dans les œufs et le bruit de la cafetière surmenée, elle n’avait pu s’empêcher de laisser son cerveau bouillonner. « Quel type ? ». D’abord Juliette avait trouvé ça bizarre seulement, puis, en observant la salle du coin de l’œil, elle avait constaté que personne ne semblait avoir remarqué l’homme à la parka beige. Les clients lui passaient tous devant les uns après les autres sans lui accorder un seul regard.

               Accoudée sur le comptoir, Juliette profitait d’une mini-pause et du silence de clients contentés, pour l’observer plus ou moins discrètement. Il ne passait pas inaperçu pourtant... Comment ce faisait-il qu’elle était la seule à l’avoir remarqué ? Elle avait vaguement espéré qu’Henri se décide à venir prendre son petit déjeuner au Diner, comme cela lui arrivait parfois. Après tout, l’homme était assis à sa place et si quelqu’un lui disait quelque chose, ce serait forcément Henri ! Mais il n’était pas venu. Il était 10h07. Et le cerveau de Juliette s’éloignait de plus en plus sur les chemins de l’incrédulité. Si personne ne le voyait, c’était peut-être parce qu’il n’y avait rien à voir ? Juliette plissa les yeux, soupçonneuse. Si elle seule l’avait remarqué, alors c’était peut-être elle le problème. Était-elle trop seule ? Trop fatiguée ? Trop fantaisiste ? Trop quelque chose ? Était-il une invention de son esprit ? Juliette glissa une paille dans sa bouche et commença à la mâchouiller doucement pour essayer de garder son calme.  Elle avait regardé un documentaire une fois au sujet d’une maladie mentale qui pouvait provoquer des hallucinations. C’était peut-être ça ? Ou une tumeur au cerveau peut-être ? Était-elle folle ou malade ? Ou alors… Ou alors, il était bien présent, mais elle était la seule à pouvoir le voir. Parce que c’était un fantôme ! Un fantôme venu lui délivrer un message. Ou alors…

               -Mademoiselle ?

               Son cœur faillit s’arrêter. Lorsqu’il l’interpella, l’homme à la parka beige posa sur elle un regard perçant qu’elle ne lui avait pas encore connu. Il avait lu dans ses pensées et s’apprêtait à lui délivrer un message !

               -Je pourrais avoir un café s’il vous plait ?

               Juliette bafouilla quelque chose avant de se réfugier dans la cuisine. Elle ne tarda pas à se rendre compte que la cafetière ne s’y trouvait pas. Elle secoua les épaules et redressa la tête tout en replaçant une mèche de cheveux derrière son oreille. Elle était ridicule. Que ce type soit là ou pas, qu’il vienne pour elle ou pas, il lui avait demandé un café et elle allait le lui servir. Elle n’allait tout de même pas mourir de peur devant un esprit vide qui avait cru bon de mettre un manteau dans le désert en plein mois de juillet. Et puis, ce n’est pas retranchée dans la cuisine à cuisiner des omelettes imaginaires qu’elle tirerait le fin mot de cette histoire.

               Elle poussa la porte de la cuisine le plus calmement possible, se dirigea vers le comptoir et apporta un expresso au client qui le lui avait demandé. Elle avait beau faire la fière, elle n’en menait pas large. Son cœur battait la chamade et ses mains tremblèrent lorsqu’elle posa la petite tasse sur la table. Quel cruel manque de professionnalisme ! Après tout, qu’il soit voyageur du temps ou de l’espace, vivant ou décédé, il avait le droit à un service impeccable comme tous les autres. Il redressa la tête et esquissa un sourire triste. Juliette se mit à prier pour que quelqu’un la hèle. Même pour un burger, elle répondrait par l’affirmative si cela pouvait la tirer de cette situation inconfortable.

               La porte d’entrée s’ouvrit à la volée, faisant sursauter Juliette et mettant fin à cet étrange moment suspendu dont elle se serait bien passée. Il était 10h14 et Michel venait d’arriver. Il se précipita comme un ouragan dans la cuisine, Juliette saisit cette opportunité pour s’engouffrer dans son sillage.

               -C’est une histoire de fou ! Commença-t-il en enfilant à la hâte son tablier, C’était une journée normale, ordinaire… Je me suis levé, j’ai pris mon petit déjeuner ! Comme d’hab quoi ! J’étais de bonne humeur ! J’ai même eu le temps de déposer le grand à l’école ! Et là, la mère d’élève là ! Tu sais celle qui a une tête à s’appeler Martine et à téléphoner aux numéros verts « satisfait ou remboursé » ? et bah elle me tombe dessus ! Et devine elle me dit quoi ? Qu’en me garant j’ai abimé sa voiture ! Non mais mort de rire ! Sa caisse date de l’époque de mon grand père et elle est tellement cabossée qu’elle ressemble plus à une balle antistress qu’à une voiture ! Mais bon bref, elle a pas voulu en démordre ! Elle a ameuté toute l’école, puis tout le voisinage ! J’avais envie de la tuer ! M’enfin ça a fini par se régler et me voilà ! Ça a été ? Tu as réussi à te débrouiller ? Est-ce que tu vas bien ? Tu as l’air fatiguée !

               Inondée par le flot de parole ininterrompu de son ami, Juliette attendait la bouche grande ouverte, coupée dans son élan.

               -Oui, oui ça va ! Quelle histoire !

               -C’est clair ! Elle m’a foutu ma matinée en l’air cette conne ! Tu as fait des omelettes ? Tu les as réussis cette fois-ci ?

               -Personne ne s’est plaint en tout cas !

               -Je vois…

               -Dis-moi Michel ? Le type là-bas ? Tu le vois ?

               -Ouais, tu parles d’un abruti, quelle idée de porter une parka par cette chaleur !

Juliette sourie poliment. Elle ne savait pas si elle devait se sentir rassurée ou dépitée. Clairement, entre la maladie et la folie, la dernière remportait la palme haut la main. N’importe quoi !


-Il est bizarre non ?

-Qui ça ?

-Bah le type là-bas !

Michel jeta un coup d’œil par le hublot de la porte en direction de l’homme. Il était désormais midi et il n’avait toujours pas bougé. Il haussa les épaules.

-Je dirai triste plutôt !

-On peut être triste et bizarre…

-Pourquoi il t’intéresse autant ce mec ?

-Je sais pas, il me met mal à l’aise !

-Tu veux que j’aille le virer ?

Juliette reporta son regard sur Michel. Il était grand. Mais genre vraiment grand. Un mètre quatre-vingt-dix au moins pour peut-être cent-dix ou cent vingt kilos. C’était le mastodonte de l’espère humaine, un immense (à la verticale comme à l’horizontal) kanak aux long cheveux noirs et frisés et il lui suffirait d’une pichenette pour qu’un homme standard déguerpisse sans demander son reste. Face à lui, l’homme n’avait aucune chance. Juliette répondit par la négative. Si l’homme était triste, elle ne voulait pas en rajouter à son malheur. S’il restait là c’est qu’il y trouvait quelque chose dont il avait besoin. Ou qu’il n’avait nulle part d’autre ou aller. Alors, tant pis, elle s’accommoderait de ce désagréable sentiment.

-Mais pourquoi il reste là ?

-Je ne sais pas… Certainement pas pour ton omelette en tout cas !

-Pourquoi il est triste tu penses ?

-Mais j’en sais rien ! Va donc lui poser directement la question !

Juliette soupira face au manque de curiosité du cuisinier qui n’avait même pas daigné lever les yeux de ses entrecôtes. Comment cela se faisait-il que cet homme n’intéresse qu’elle ? Lasse, elle retourna dans la salle. Derrière le comptoir, elle s’assit sur un petit tabouret en attendant que quelqu’un ait besoin d’elle. La journée allait être longue. Passé le rush du petit déjeuner – si tant est que l’on puisse appeler ça un rush – les clients s’étaient parsemés. Certains reprenant la route, pour le boulot ou ailleurs, les autres rentrant chez eux. On pouvait espérer qu’il y ait foule ce midi, mais pour le moment, à 12h02, le restaurant ne comptait que six âmes si l’on comptait la sienne et celle de Michel. Deux avaient déjà déjeuné et un troisième, un habitué du nom de William ne tarderait plus à rentrer faire sa sieste. Le quatrième, c’était l’homme à la parka beige. Et lui Dieu seul sait ce qu’il ferait cet après-midi. Il serait probablement sa meilleure distraction pour les heures à venir. En attendant que la clochette ne couine, elle continuait de l’observer, dans sa tête les mêmes interrogations, des nouvelles aussi. Pourquoi était-il encore là ? Comment s’appelait-il ? Comment était-il venu (il n’y avait que quelques voitures sur le parking et Juliette était sûre qu’il n’était venu avec aucune d’entre elle) ? Et, bon sang de bonsoir, pourquoi portait-il cette affreuse parka sur le dos ? Certes, le petit climatiseur du Diner était fatigué, mais il continuait de se battre vaillamment pour offrir un semblant de fraicheur autour de lui. Rien ne justifiait qu’il ne porte un truc pareil. Sauf si, comme elle probablement, il lui manquait une case. Ce qui était effectivement une possibilité à laquelle Juliette n’avait jamais pensé.

Elle se servi un café dans lequel elle jeta deux grosses cuillères de sucre, un peu de lait froid et un soupçon de cannelle. En le portant à ses lèvres, il était devenu évident qu’elle n’obtiendrait aucune réponse à ses questions et que face à cette énigme, c’était Michel qui avait trouvé la solution. Si elle voulait réellement lever le voile sur ce mystère, il fallait qu’elle le lui demande directement. Elle pouvait se perdre en conjecture pendant des heures, lui seul avait les réponses qui l’intéressaient.

Le susnommé Michel sorti des cuisines avec une assiette pleine de pilons de poulet marinés et de salade qu’il déposa devant Juliette. Les bonnes résolutions devraient attendre, elle avait une faim de loup. Mais même si son estomac criait famine, elle aurait toutes les peines du monde à engloutir la montagne de nourriture que Michel s’obstinait à lui donner chaque jour. Il semblait oublier que le monde entier n’avait pas la même carrure que lui et que la plupart des gens mangeaient des quantités raisonnées.

-Bon appétit !

Michel lui posa une main sur l’épaule. Durant les neuf années durant lesquelles Juliette avait travaillé au Jo’s Burger, elle avait appris deux-trois choses sur lui. La première, et la plus essentielle à ses yeux, c’est qu’il avait un cœur aussi gros que lui. Il avait beau paraître bourru comme ça, il mettait un point d’honneur à prendre soin de ceux qu’il aimait (en commençant par s’assurer qu’ils avaient tous un estomac bien rempli !). Et après tout ce temps, Juliette savait qu’elle en faisait partie. La deuxième, c’est que son rire tonitruant s’entendait depuis le parking et pouvait redonner la foi à n’importe qui et la troisième, qu’il faisait les meilleurs crêpes flambées de la planète. Si Juliette était sûre d’une chose, c’est que le monde serait beaucoup plus beau si l’on y trouvait plus de Michel. Ils avaient mis du temps avant de devenir amis. Juliette n’était pas tellement sociable et elle n’aimait pas trop la compagnie des autres êtres vivants en général. Elle n’aimait pas non plus être seule, mais entre ses pensées et tenir une conversation forcée, la première option avait toujours été sa préférée. Michel n’avait pas insisté. Il n’avait pas essayé de la faire parler. Il s’était contenté de lui sourire et d’être aimable tout en lui servant une assiette chaque midi. Mais elle l’avait entendu parler et rire avec les autres, alors elle avait su qu’il était beau.

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