"La réalité... quel drôle de concept !"
Robin Williams
Oyé Oyé ! Et oui, le voici, le voilà ! Le chapitre 3 ! Alors à vos lunettes, lentilles et autres tasses de café ! Et surtout, à vos claviers ! On n'hésite surtout pas à laisser un signe de son passage, un avis, un mot, un poème, un coucou ! Bref, ce que vous voulez !
Merci pour vos visites !
Chapitre 3
Juliette se
gara sur le parking du Diner à 9h
pétante le lendemain matin. Autour d’elle, trois voitures se regardaient en
chien de faïence. Michel n’était pas encore arrivé, mais elle en reconnu deux
et en déduisit que la troisième était probablement celle d’un voyageur égaré
assoiffé de caféine. La petite clochette installée à la porte cliqueta
joyeusement lorsqu’elle la poussa. Les grommèlements du patron ronchonnant
contre un je-ne-sais-quoi qui ne fonctionnait pas lui parvinrent aux oreilles
et elle fonça derrière le comptoir pour se faire un café au lait qu’elle
dégusterait à petites gorgées entre deux commandes. Un goût de tous les jours,
qui lui convenait très bien.
Elle glissait
une paille en papier dans la grande tasse remplie à ras bord quand elle se
retourna. Juliette manqua d’en renverser la moitié sur le sol (heureusement, il
n’en fut rien, cela l’aurait contrariée de devoir commencer sa journée en
passant la serpillère). L’homme à la parka beige était revenu (ou encore
là ?). Il avait changé de place pour prendre celle de la fenêtre mais il
avait exactement la même dégaine que la veille. Les cheveux en bataille, le
même regard perdu, la même posture. Juliette n’avait pas les souvenirs
suffisamment affutés pour constater s’il avait ou non changer de chaussettes,
mais elle aurait mis sa main à couper que c’était les mêmes. Un peu
déstabilisée sans trop savoir pourquoi, Juliette poussa la porte de la cuisine.
Elle tomba nez à nez avec le derrière de son patron qui, les quatre fers en
l’air, inspectait scrupuleusement le dessous d’une table, tournevis à la main.
-Salut boss.
Tu fais quoi ?
-A ton avis
bordel ?
-Probablement
de la spéléologie…
-La table
s’est cassée la gueule ! Ça fait deux heures que j’essaye de refixer le
pied, mais ça tient pas !
-J’imagine que
tu as essayé de remettre une vis ?
Le patron
hurla quelque chose d’inintelligible qui pouvait probablement se résumer par
« tu me prends pour un con ? » avant de sortir une tête fatiguée de
dessous la table. Il poussa le meuble accidenté dans un coin de la cuisine.
-Je vais aller
dormir trois ou quatre heures et j’irai acheter de nouvelles vis, j’essayerai
de la réparer ce soir. J’ai besoin de te préciser qu’il ne faut rien poser
dessus ?
-Ca devrait
aller je pense.
-Super !
Aller, passe une bonne journée, je viendrai tôt ce soir pour essayer de réparer
cette fichue table ! Avec un peu de chance, tu devrais pouvoir débaucher
de bonne heure !
-Merci chef.
Dis-moi, ce type à la parka jaune, vous le connaissez ?
-Quel
type ?
∞
Il
était dix heures et Michel n’était toujours pas arrivé. Elle avait commencé par
résumer le menu du jour à la seule chose qu’elle savait parfaitement
cuisiner : les omelettes au fromage (avec ou sans coquilles ?). Pour
le reste, les clients difficiles avaient deux options : attendre
l’arrivée, ils l’espéraient tous, certainement imminente de Michel ou alors
repartir le ventre vide. Ainsi avait-elle cassé une douzaine d’œufs, servie
quatre omelettes approximatives, répétez trois fois « non, il n’y a pas de
burgers au menu ce matin » et servi une dizaine de tasses de café (pour
ça, elle savait parfaitement se débrouiller). Juliette n’avait pas chômé,
pourtant elle avait tout de même trouvé le temps de devenir zinzin. Car malgré
la ronde incessante des commandes de bon matin, la danse infernale du fouet
dans les œufs et le bruit de la cafetière surmenée, elle n’avait pu s’empêcher
de laisser son cerveau bouillonner. « Quel type ? ». D’abord Juliette
avait trouvé ça bizarre seulement, puis, en observant la salle du coin de
l’œil, elle avait constaté que personne ne semblait avoir remarqué l’homme à la
parka beige. Les clients lui passaient tous devant les uns après les autres
sans lui accorder un seul regard.
Accoudée
sur le comptoir, Juliette profitait d’une mini-pause et du silence de clients
contentés, pour l’observer plus ou moins discrètement. Il ne passait pas
inaperçu pourtant... Comment ce faisait-il qu’elle était la seule à l’avoir
remarqué ? Elle avait vaguement espéré qu’Henri se décide à venir prendre
son petit déjeuner au Diner, comme cela lui arrivait parfois. Après
tout, l’homme était assis à sa place et si quelqu’un lui disait quelque chose,
ce serait forcément Henri ! Mais il n’était pas venu. Il était 10h07. Et
le cerveau de Juliette s’éloignait de plus en plus sur les chemins de
l’incrédulité. Si personne ne le voyait, c’était peut-être parce qu’il n’y
avait rien à voir ? Juliette plissa les yeux, soupçonneuse. Si elle seule
l’avait remarqué, alors c’était peut-être elle le problème. Était-elle trop
seule ? Trop fatiguée ? Trop fantaisiste ? Trop quelque
chose ? Était-il une invention de son esprit ? Juliette glissa une
paille dans sa bouche et commença à la mâchouiller doucement pour essayer de
garder son calme. Elle avait regardé un
documentaire une fois au sujet d’une maladie mentale qui pouvait provoquer des
hallucinations. C’était peut-être ça ? Ou une tumeur au cerveau peut-être ?
Était-elle folle ou malade ? Ou alors… Ou alors, il était bien présent,
mais elle était la seule à pouvoir le voir. Parce que c’était un fantôme !
Un fantôme venu lui délivrer un message. Ou alors…
-Mademoiselle ?
Son
cœur faillit s’arrêter. Lorsqu’il l’interpella, l’homme à la parka beige posa
sur elle un regard perçant qu’elle ne lui avait pas encore connu. Il avait lu
dans ses pensées et s’apprêtait à lui délivrer un message !
-Je
pourrais avoir un café s’il vous plait ?
Elle
poussa la porte de la cuisine le plus calmement possible, se dirigea vers le
comptoir et apporta un expresso au client qui le lui avait demandé. Elle avait
beau faire la fière, elle n’en menait pas large. Son cœur battait la chamade et
ses mains tremblèrent lorsqu’elle posa la petite tasse sur la table. Quel cruel
manque de professionnalisme ! Après tout, qu’il soit voyageur du temps ou
de l’espace, vivant ou décédé, il avait le droit à un service impeccable comme
tous les autres. Il redressa la tête et esquissa un sourire triste. Juliette se
mit à prier pour que quelqu’un la hèle. Même pour un burger, elle répondrait
par l’affirmative si cela pouvait la tirer de cette situation inconfortable.
La
porte d’entrée s’ouvrit à la volée, faisant sursauter Juliette et mettant fin à
cet étrange moment suspendu dont elle se serait bien passée. Il était 10h14 et
Michel venait d’arriver. Il se précipita comme un ouragan dans la cuisine,
Juliette saisit cette opportunité pour s’engouffrer dans son sillage.
-C’est
une histoire de fou ! Commença-t-il en enfilant à la hâte son tablier,
C’était une journée normale, ordinaire… Je me suis levé, j’ai pris mon petit
déjeuner ! Comme d’hab quoi ! J’étais de bonne humeur ! J’ai
même eu le temps de déposer le grand à l’école ! Et là, la mère d’élève
là ! Tu sais celle qui a une tête à s’appeler Martine et à téléphoner aux
numéros verts « satisfait ou remboursé » ? et bah elle me tombe
dessus ! Et devine elle me dit quoi ? Qu’en me garant j’ai abimé sa
voiture ! Non mais mort de rire ! Sa caisse date de l’époque de mon
grand père et elle est tellement cabossée qu’elle ressemble plus à une balle
antistress qu’à une voiture ! Mais bon bref, elle a pas voulu en
démordre ! Elle a ameuté toute l’école, puis tout le voisinage !
J’avais envie de la tuer ! M’enfin ça a fini par se régler et me
voilà ! Ça a été ? Tu as réussi à te débrouiller ? Est-ce que tu
vas bien ? Tu as l’air fatiguée !
Inondée
par le flot de parole ininterrompu de son ami, Juliette attendait la bouche
grande ouverte, coupée dans son élan.
-Oui,
oui ça va ! Quelle histoire !
-C’est
clair ! Elle m’a foutu ma matinée en l’air cette conne ! Tu as fait
des omelettes ? Tu les as réussis cette fois-ci ?
-Personne
ne s’est plaint en tout cas !
-Je
vois…
-Dis-moi
Michel ? Le type là-bas ? Tu le vois ?
-Ouais,
tu parles d’un abruti, quelle idée de porter une parka par cette chaleur !
Juliette
sourie poliment. Elle ne savait pas si elle devait se sentir rassurée ou
dépitée. Clairement, entre la maladie et la folie, la dernière remportait la
palme haut la main. N’importe quoi !
∞
-Il est
bizarre non ?
-Qui ça ?
-Bah le type
là-bas !
Michel jeta un
coup d’œil par le hublot de la porte en direction de l’homme. Il était
désormais midi et il n’avait toujours pas bougé. Il haussa les épaules.
-Je dirai
triste plutôt !
-On peut être
triste et bizarre…
-Pourquoi il
t’intéresse autant ce mec ?
-Je sais pas,
il me met mal à l’aise !
-Tu veux que
j’aille le virer ?
Juliette
reporta son regard sur Michel. Il était grand. Mais genre vraiment grand. Un
mètre quatre-vingt-dix au moins pour peut-être cent-dix ou cent vingt kilos.
C’était le mastodonte de l’espère humaine, un immense (à la verticale comme à
l’horizontal) kanak aux long cheveux noirs et frisés et il lui suffirait d’une
pichenette pour qu’un homme standard déguerpisse sans demander son reste. Face
à lui, l’homme n’avait aucune chance. Juliette répondit par la négative. Si
l’homme était triste, elle ne voulait pas en rajouter à son malheur. S’il
restait là c’est qu’il y trouvait quelque chose dont il avait besoin. Ou qu’il
n’avait nulle part d’autre ou aller. Alors, tant pis, elle s’accommoderait de
ce désagréable sentiment.
-Mais pourquoi
il reste là ?
-Je ne sais
pas… Certainement pas pour ton omelette en tout cas !
-Pourquoi il
est triste tu penses ?
-Mais j’en
sais rien ! Va donc lui poser directement la question !
Juliette
soupira face au manque de curiosité du cuisinier qui n’avait même pas daigné
lever les yeux de ses entrecôtes. Comment cela se faisait-il que cet homme
n’intéresse qu’elle ? Lasse, elle retourna dans la salle. Derrière le
comptoir, elle s’assit sur un petit tabouret en attendant que quelqu’un ait
besoin d’elle. La journée allait être longue. Passé le rush du petit déjeuner –
si tant est que l’on puisse appeler ça un rush – les clients s’étaient
parsemés. Certains reprenant la route, pour le boulot ou ailleurs, les autres
rentrant chez eux. On pouvait espérer qu’il y ait foule ce midi, mais pour le moment,
à 12h02, le restaurant ne comptait que six âmes si l’on comptait la sienne et
celle de Michel. Deux avaient déjà déjeuné et un troisième, un habitué du nom
de William ne tarderait plus à rentrer faire sa sieste. Le quatrième, c’était
l’homme à la parka beige. Et lui Dieu seul sait ce qu’il ferait cet après-midi.
Il serait probablement sa meilleure distraction pour les heures à venir. En attendant
que la clochette ne couine, elle continuait de l’observer, dans sa tête les
mêmes interrogations, des nouvelles aussi. Pourquoi était-il encore là ?
Comment s’appelait-il ? Comment était-il venu (il n’y avait que quelques
voitures sur le parking et Juliette était sûre qu’il n’était venu avec aucune
d’entre elle) ? Et, bon sang de bonsoir, pourquoi portait-il cette
affreuse parka sur le dos ? Certes, le petit climatiseur du Diner
était fatigué, mais il continuait de se battre vaillamment pour offrir un
semblant de fraicheur autour de lui. Rien ne justifiait qu’il ne porte un truc
pareil. Sauf si, comme elle probablement, il lui manquait une case. Ce qui
était effectivement une possibilité à laquelle Juliette n’avait jamais pensé.
Elle se servi
un café dans lequel elle jeta deux grosses cuillères de sucre, un peu de lait
froid et un soupçon de cannelle. En le portant à ses lèvres, il était devenu
évident qu’elle n’obtiendrait aucune réponse à ses questions et que face à
cette énigme, c’était Michel qui avait trouvé la solution. Si elle voulait
réellement lever le voile sur ce mystère, il fallait qu’elle le lui demande
directement. Elle pouvait se perdre en conjecture pendant des heures, lui seul
avait les réponses qui l’intéressaient.
Le susnommé
Michel sorti des cuisines avec une assiette pleine de pilons de poulet marinés
et de salade qu’il déposa devant Juliette. Les bonnes résolutions devraient
attendre, elle avait une faim de loup. Mais même si son estomac criait famine,
elle aurait toutes les peines du monde à engloutir la montagne de nourriture
que Michel s’obstinait à lui donner chaque jour. Il semblait oublier que le
monde entier n’avait pas la même carrure que lui et que la plupart des gens
mangeaient des quantités raisonnées.
-Bon
appétit !
Michel lui
posa une main sur l’épaule. Durant les neuf années durant lesquelles Juliette
avait travaillé au Jo’s Burger, elle avait appris deux-trois choses sur
lui. La première, et la plus essentielle à ses yeux, c’est qu’il avait un cœur
aussi gros que lui. Il avait beau paraître bourru comme ça, il mettait un point
d’honneur à prendre soin de ceux qu’il aimait (en commençant par s’assurer
qu’ils avaient tous un estomac bien rempli !). Et après tout ce temps,
Juliette savait qu’elle en faisait partie. La deuxième, c’est que son rire
tonitruant s’entendait depuis le parking et pouvait redonner la foi à n’importe
qui et la troisième, qu’il faisait les meilleurs crêpes flambées de la planète.
Si Juliette était sûre d’une chose, c’est que le monde serait beaucoup plus
beau si l’on y trouvait plus de Michel. Ils avaient mis du temps avant de
devenir amis. Juliette n’était pas tellement sociable et elle n’aimait pas trop
la compagnie des autres êtres vivants en général. Elle n’aimait pas non plus
être seule, mais entre ses pensées et tenir une conversation forcée, la
première option avait toujours été sa préférée. Michel n’avait pas insisté. Il
n’avait pas essayé de la faire parler. Il s’était contenté de lui sourire et
d’être aimable tout en lui servant une assiette chaque midi. Mais elle l’avait
entendu parler et rire avec les autres, alors elle avait su qu’il était beau.





