samedi 13 septembre 2025

Roman en cours - Chapitre 3

"La réalité... quel drôle de concept !"

Robin Williams

Oyé Oyé ! Et oui, le voici, le voilà ! Le chapitre 3 ! Alors à vos lunettes, lentilles et autres tasses de café ! Et surtout, à vos claviers ! On n'hésite surtout pas à laisser un signe de son passage, un avis, un mot, un poème, un coucou ! Bref, ce que vous voulez !
Merci pour vos visites !

A très vite !
Marie

Chapitre 3

Juliette se gara sur le parking du Diner à 9h pétante le lendemain matin. Autour d’elle, trois voitures se regardaient en chien de faïence. Michel n’était pas encore arrivé, mais elle en reconnu deux et en déduisit que la troisième était probablement celle d’un voyageur égaré assoiffé de caféine. La petite clochette installée à la porte cliqueta joyeusement lorsqu’elle la poussa. Les grommèlements du patron ronchonnant contre un je-ne-sais-quoi qui ne fonctionnait pas lui parvinrent aux oreilles et elle fonça derrière le comptoir pour se faire un café au lait qu’elle dégusterait à petites gorgées entre deux commandes. Un goût de tous les jours, qui lui convenait très bien.

Elle glissait une paille en papier dans la grande tasse remplie à ras bord quand elle se retourna. Juliette manqua d’en renverser la moitié sur le sol (heureusement, il n’en fut rien, cela l’aurait contrariée de devoir commencer sa journée en passant la serpillère). L’homme à la parka beige était revenu (ou encore là ?). Il avait changé de place pour prendre celle de la fenêtre mais il avait exactement la même dégaine que la veille. Les cheveux en bataille, le même regard perdu, la même posture. Juliette n’avait pas les souvenirs suffisamment affutés pour constater s’il avait ou non changer de chaussettes, mais elle aurait mis sa main à couper que c’était les mêmes. Un peu déstabilisée sans trop savoir pourquoi, Juliette poussa la porte de la cuisine. Elle tomba nez à nez avec le derrière de son patron qui, les quatre fers en l’air, inspectait scrupuleusement le dessous d’une table, tournevis à la main.

-Salut boss. Tu fais quoi ?

-A ton avis bordel ?

-Probablement de la spéléologie…

-La table s’est cassée la gueule ! Ça fait deux heures que j’essaye de refixer le pied, mais ça tient pas !

-J’imagine que tu as essayé de remettre une vis ?

Le patron hurla quelque chose d’inintelligible qui pouvait probablement se résumer par « tu me prends pour un con ? » avant de sortir une tête fatiguée de dessous la table. Il poussa le meuble accidenté dans un coin de la cuisine.

-Je vais aller dormir trois ou quatre heures et j’irai acheter de nouvelles vis, j’essayerai de la réparer ce soir. J’ai besoin de te préciser qu’il ne faut rien poser dessus ?

-Ca devrait aller je pense.

-Super ! Aller, passe une bonne journée, je viendrai tôt ce soir pour essayer de réparer cette fichue table ! Avec un peu de chance, tu devrais pouvoir débaucher de bonne heure !

-Merci chef. Dis-moi, ce type à la parka jaune, vous le connaissez ?

-Quel type ?

               Il était dix heures et Michel n’était toujours pas arrivé. Elle avait commencé par résumer le menu du jour à la seule chose qu’elle savait parfaitement cuisiner : les omelettes au fromage (avec ou sans coquilles ?). Pour le reste, les clients difficiles avaient deux options : attendre l’arrivée, ils l’espéraient tous, certainement imminente de Michel ou alors repartir le ventre vide. Ainsi avait-elle cassé une douzaine d’œufs, servie quatre omelettes approximatives, répétez trois fois « non, il n’y a pas de burgers au menu ce matin » et servi une dizaine de tasses de café (pour ça, elle savait parfaitement se débrouiller). Juliette n’avait pas chômé, pourtant elle avait tout de même trouvé le temps de devenir zinzin. Car malgré la ronde incessante des commandes de bon matin, la danse infernale du fouet dans les œufs et le bruit de la cafetière surmenée, elle n’avait pu s’empêcher de laisser son cerveau bouillonner. « Quel type ? ». D’abord Juliette avait trouvé ça bizarre seulement, puis, en observant la salle du coin de l’œil, elle avait constaté que personne ne semblait avoir remarqué l’homme à la parka beige. Les clients lui passaient tous devant les uns après les autres sans lui accorder un seul regard.

               Accoudée sur le comptoir, Juliette profitait d’une mini-pause et du silence de clients contentés, pour l’observer plus ou moins discrètement. Il ne passait pas inaperçu pourtant... Comment ce faisait-il qu’elle était la seule à l’avoir remarqué ? Elle avait vaguement espéré qu’Henri se décide à venir prendre son petit déjeuner au Diner, comme cela lui arrivait parfois. Après tout, l’homme était assis à sa place et si quelqu’un lui disait quelque chose, ce serait forcément Henri ! Mais il n’était pas venu. Il était 10h07. Et le cerveau de Juliette s’éloignait de plus en plus sur les chemins de l’incrédulité. Si personne ne le voyait, c’était peut-être parce qu’il n’y avait rien à voir ? Juliette plissa les yeux, soupçonneuse. Si elle seule l’avait remarqué, alors c’était peut-être elle le problème. Était-elle trop seule ? Trop fatiguée ? Trop fantaisiste ? Trop quelque chose ? Était-il une invention de son esprit ? Juliette glissa une paille dans sa bouche et commença à la mâchouiller doucement pour essayer de garder son calme.  Elle avait regardé un documentaire une fois au sujet d’une maladie mentale qui pouvait provoquer des hallucinations. C’était peut-être ça ? Ou une tumeur au cerveau peut-être ? Était-elle folle ou malade ? Ou alors… Ou alors, il était bien présent, mais elle était la seule à pouvoir le voir. Parce que c’était un fantôme ! Un fantôme venu lui délivrer un message. Ou alors…

               -Mademoiselle ?

               Son cœur faillit s’arrêter. Lorsqu’il l’interpella, l’homme à la parka beige posa sur elle un regard perçant qu’elle ne lui avait pas encore connu. Il avait lu dans ses pensées et s’apprêtait à lui délivrer un message !

               -Je pourrais avoir un café s’il vous plait ?

               Juliette bafouilla quelque chose avant de se réfugier dans la cuisine. Elle ne tarda pas à se rendre compte que la cafetière ne s’y trouvait pas. Elle secoua les épaules et redressa la tête tout en replaçant une mèche de cheveux derrière son oreille. Elle était ridicule. Que ce type soit là ou pas, qu’il vienne pour elle ou pas, il lui avait demandé un café et elle allait le lui servir. Elle n’allait tout de même pas mourir de peur devant un esprit vide qui avait cru bon de mettre un manteau dans le désert en plein mois de juillet. Et puis, ce n’est pas retranchée dans la cuisine à cuisiner des omelettes imaginaires qu’elle tirerait le fin mot de cette histoire.

               Elle poussa la porte de la cuisine le plus calmement possible, se dirigea vers le comptoir et apporta un expresso au client qui le lui avait demandé. Elle avait beau faire la fière, elle n’en menait pas large. Son cœur battait la chamade et ses mains tremblèrent lorsqu’elle posa la petite tasse sur la table. Quel cruel manque de professionnalisme ! Après tout, qu’il soit voyageur du temps ou de l’espace, vivant ou décédé, il avait le droit à un service impeccable comme tous les autres. Il redressa la tête et esquissa un sourire triste. Juliette se mit à prier pour que quelqu’un la hèle. Même pour un burger, elle répondrait par l’affirmative si cela pouvait la tirer de cette situation inconfortable.

               La porte d’entrée s’ouvrit à la volée, faisant sursauter Juliette et mettant fin à cet étrange moment suspendu dont elle se serait bien passée. Il était 10h14 et Michel venait d’arriver. Il se précipita comme un ouragan dans la cuisine, Juliette saisit cette opportunité pour s’engouffrer dans son sillage.

               -C’est une histoire de fou ! Commença-t-il en enfilant à la hâte son tablier, C’était une journée normale, ordinaire… Je me suis levé, j’ai pris mon petit déjeuner ! Comme d’hab quoi ! J’étais de bonne humeur ! J’ai même eu le temps de déposer le grand à l’école ! Et là, la mère d’élève là ! Tu sais celle qui a une tête à s’appeler Martine et à téléphoner aux numéros verts « satisfait ou remboursé » ? et bah elle me tombe dessus ! Et devine elle me dit quoi ? Qu’en me garant j’ai abimé sa voiture ! Non mais mort de rire ! Sa caisse date de l’époque de mon grand père et elle est tellement cabossée qu’elle ressemble plus à une balle antistress qu’à une voiture ! Mais bon bref, elle a pas voulu en démordre ! Elle a ameuté toute l’école, puis tout le voisinage ! J’avais envie de la tuer ! M’enfin ça a fini par se régler et me voilà ! Ça a été ? Tu as réussi à te débrouiller ? Est-ce que tu vas bien ? Tu as l’air fatiguée !

               Inondée par le flot de parole ininterrompu de son ami, Juliette attendait la bouche grande ouverte, coupée dans son élan.

               -Oui, oui ça va ! Quelle histoire !

               -C’est clair ! Elle m’a foutu ma matinée en l’air cette conne ! Tu as fait des omelettes ? Tu les as réussis cette fois-ci ?

               -Personne ne s’est plaint en tout cas !

               -Je vois…

               -Dis-moi Michel ? Le type là-bas ? Tu le vois ?

               -Ouais, tu parles d’un abruti, quelle idée de porter une parka par cette chaleur !

Juliette sourie poliment. Elle ne savait pas si elle devait se sentir rassurée ou dépitée. Clairement, entre la maladie et la folie, la dernière remportait la palme haut la main. N’importe quoi !


-Il est bizarre non ?

-Qui ça ?

-Bah le type là-bas !

Michel jeta un coup d’œil par le hublot de la porte en direction de l’homme. Il était désormais midi et il n’avait toujours pas bougé. Il haussa les épaules.

-Je dirai triste plutôt !

-On peut être triste et bizarre…

-Pourquoi il t’intéresse autant ce mec ?

-Je sais pas, il me met mal à l’aise !

-Tu veux que j’aille le virer ?

Juliette reporta son regard sur Michel. Il était grand. Mais genre vraiment grand. Un mètre quatre-vingt-dix au moins pour peut-être cent-dix ou cent vingt kilos. C’était le mastodonte de l’espère humaine, un immense (à la verticale comme à l’horizontal) kanak aux long cheveux noirs et frisés et il lui suffirait d’une pichenette pour qu’un homme standard déguerpisse sans demander son reste. Face à lui, l’homme n’avait aucune chance. Juliette répondit par la négative. Si l’homme était triste, elle ne voulait pas en rajouter à son malheur. S’il restait là c’est qu’il y trouvait quelque chose dont il avait besoin. Ou qu’il n’avait nulle part d’autre ou aller. Alors, tant pis, elle s’accommoderait de ce désagréable sentiment.

-Mais pourquoi il reste là ?

-Je ne sais pas… Certainement pas pour ton omelette en tout cas !

-Pourquoi il est triste tu penses ?

-Mais j’en sais rien ! Va donc lui poser directement la question !

Juliette soupira face au manque de curiosité du cuisinier qui n’avait même pas daigné lever les yeux de ses entrecôtes. Comment cela se faisait-il que cet homme n’intéresse qu’elle ? Lasse, elle retourna dans la salle. Derrière le comptoir, elle s’assit sur un petit tabouret en attendant que quelqu’un ait besoin d’elle. La journée allait être longue. Passé le rush du petit déjeuner – si tant est que l’on puisse appeler ça un rush – les clients s’étaient parsemés. Certains reprenant la route, pour le boulot ou ailleurs, les autres rentrant chez eux. On pouvait espérer qu’il y ait foule ce midi, mais pour le moment, à 12h02, le restaurant ne comptait que six âmes si l’on comptait la sienne et celle de Michel. Deux avaient déjà déjeuné et un troisième, un habitué du nom de William ne tarderait plus à rentrer faire sa sieste. Le quatrième, c’était l’homme à la parka beige. Et lui Dieu seul sait ce qu’il ferait cet après-midi. Il serait probablement sa meilleure distraction pour les heures à venir. En attendant que la clochette ne couine, elle continuait de l’observer, dans sa tête les mêmes interrogations, des nouvelles aussi. Pourquoi était-il encore là ? Comment s’appelait-il ? Comment était-il venu (il n’y avait que quelques voitures sur le parking et Juliette était sûre qu’il n’était venu avec aucune d’entre elle) ? Et, bon sang de bonsoir, pourquoi portait-il cette affreuse parka sur le dos ? Certes, le petit climatiseur du Diner était fatigué, mais il continuait de se battre vaillamment pour offrir un semblant de fraicheur autour de lui. Rien ne justifiait qu’il ne porte un truc pareil. Sauf si, comme elle probablement, il lui manquait une case. Ce qui était effectivement une possibilité à laquelle Juliette n’avait jamais pensé.

Elle se servi un café dans lequel elle jeta deux grosses cuillères de sucre, un peu de lait froid et un soupçon de cannelle. En le portant à ses lèvres, il était devenu évident qu’elle n’obtiendrait aucune réponse à ses questions et que face à cette énigme, c’était Michel qui avait trouvé la solution. Si elle voulait réellement lever le voile sur ce mystère, il fallait qu’elle le lui demande directement. Elle pouvait se perdre en conjecture pendant des heures, lui seul avait les réponses qui l’intéressaient.

Le susnommé Michel sorti des cuisines avec une assiette pleine de pilons de poulet marinés et de salade qu’il déposa devant Juliette. Les bonnes résolutions devraient attendre, elle avait une faim de loup. Mais même si son estomac criait famine, elle aurait toutes les peines du monde à engloutir la montagne de nourriture que Michel s’obstinait à lui donner chaque jour. Il semblait oublier que le monde entier n’avait pas la même carrure que lui et que la plupart des gens mangeaient des quantités raisonnées.

-Bon appétit !

Michel lui posa une main sur l’épaule. Durant les neuf années durant lesquelles Juliette avait travaillé au Jo’s Burger, elle avait appris deux-trois choses sur lui. La première, et la plus essentielle à ses yeux, c’est qu’il avait un cœur aussi gros que lui. Il avait beau paraître bourru comme ça, il mettait un point d’honneur à prendre soin de ceux qu’il aimait (en commençant par s’assurer qu’ils avaient tous un estomac bien rempli !). Et après tout ce temps, Juliette savait qu’elle en faisait partie. La deuxième, c’est que son rire tonitruant s’entendait depuis le parking et pouvait redonner la foi à n’importe qui et la troisième, qu’il faisait les meilleurs crêpes flambées de la planète. Si Juliette était sûre d’une chose, c’est que le monde serait beaucoup plus beau si l’on y trouvait plus de Michel. Ils avaient mis du temps avant de devenir amis. Juliette n’était pas tellement sociable et elle n’aimait pas trop la compagnie des autres êtres vivants en général. Elle n’aimait pas non plus être seule, mais entre ses pensées et tenir une conversation forcée, la première option avait toujours été sa préférée. Michel n’avait pas insisté. Il n’avait pas essayé de la faire parler. Il s’était contenté de lui sourire et d’être aimable tout en lui servant une assiette chaque midi. Mais elle l’avait entendu parler et rire avec les autres, alors elle avait su qu’il était beau.

mercredi 3 septembre 2025

Roman en cours - Chapitre 2


"L'ordre est une tranquillité violente"

Victor Hugo

Bonjour à tous chers lecteurs ! 

Vous l'avez réclamé (si, si, si j'en suis sûre !), alors le voilà ! Ci-dessous le deuxième chapitre ! De rien, ne me remerciez pas !

N'hésitez pas à me laisser un petit mot, car malgré les visites sur le blog, les avis sont rares ! N'hésitez pas non plus à me laisser le votre (si vous écrivez, je me ferai un plaisir d'aller jeter un œil !).

Bonne lecture et à bientôt !

Marie

Chapitre 2

L’homme à la parka beige avait quitté ses pensées depuis longtemps lorsque Juliette inséra la petite clef en cuivre dans la serrure de son appartement. Sitôt la porte du diner passée et celle de sa voiture refermée, elle l’avait chassé de son esprit pour se concentrer sur ce qui l’attendait. Le patron était arrivé tard, mais il avait aussitôt libéré Juliette et Michel, le cuisinier, en profitant pour les engueuler. Pourquoi ils ne l’avaient pas appelé pour lui signifier l’heure qu’il était ? Il s’était endormi dans son fauteuil et avait oublié le monde extérieur pendant plusieurs heures ! L’avantage, c’est qu’il était en pleine forme et que l’établissement pourrait ainsi rester portes ouvertes jusqu’à tard dans la nuit. Même si, comme d’habitude, il n’accueillerait probablement personne. Le patron travaillait toutes les nuits, jusqu’à ce que son corps lui rappelle qu’un être humain a parfois besoin de dormir. Il ne ménageait jamais ses efforts et mettait toujours un point d’honneur à libérer ses employés à l’heure ! Parfois, il y avait des loupés, comme ce soir, mais cela ne dérangeait pas Juliette. Elle n’avait jamais rien de mieux à faire de toute façon. Le patron les avait chassés en moins de trois minutes, en leur braillant dessus qu’il ne voulait pas les voir avant neuf heures le lendemain matin. « Ce n’est pas parce que vous êtes des employés modèles qu’il faut passer votre vie ici bordel ! Allez faire autre chose de votre vie ! Allez oust ! » avait-il hurlé. C’était sa façon de s’excuser.

La porte grinça lorsqu’elle la poussa doucement. L’appartement était plongé dans la pénombre, éclairé seulement par la lueur des réverbères qui éclairaient le contrebas de la rue où elle habitait. Juliette n’alluma pas la lumière, elle aimait cette ambiance qui aspirait au calme et à la lenteur. Elle mit de l’eau dans sa bouilloire flambant neuve, petite folie qu’elle s’était offerte la semaine passée. Elle en avait eu assez de faire bouillir son eau dans une casserole et c’était Michel qui lui avait dit « mais achète toi une bouilloire bon sang ! Ça coûte que dalle en plus ! ». Alors, mardi matin dernier, elle était arrivée un peu en retard au travail pour la première fois. Elle s’était arrêtée dans un magasin d’électroménager et s’était perdue entre tous les modèles de bouilloire qui existaient. Juliette était émerveillée ! Jamais elle n’aurait pensé qu’il pouvait en exister autant. Elle avait même pris le temps de demander conseil à l’employé du magasin qui n’en avait clairement rien à cirer. Peut-être que si elle était venue acheter une piscine ou un jacuzzi, il y aurait mis plus d’intérêt. Juliette avait choisi celle qu’elle trouvait la plus jolie, au design un peu vintage, d’un beau vert olive. Elle n’était pas high tech mais cela n’avait pas d’importance, elle ne voyait pas l’intérêt d’une bouilloire connectée de toutes façons.

-Mais si, c’est génial au contraire ! Avait essayé de la convaincre l’employé, imaginez ! Vous sortez du boulot, vous lancez votre bouilloire à distance et hop ! Quand vous rentrez, l’eau est déjà chaude ! C’est super non ?

Juliette avait dit oui de la tête, mais avait quand même acheté l’autre. Elle n’était quand même pas pressée au point de ne pouvoir attendre quelques minutes devant sa bouilloire qu’elle chauffe ! Michel l’avait félicité lorsqu’il l’avait vu entrer dans le restaurant avec son trésor sous le bras. Et Juliette s’était sentie fière ce qui avait aussitôt effacé la petite pointe de culpabilité d’être arrivée en retard, même si ce n’était que dix minutes.

Elle lança un sachet de thé dans la tasse fumante qu’elle avait posé sur le comptoir, avant de la soulever avec précaution pour ne pas se brûler et aller s’asseoir dans le fauteuil qu’elle avait disposé devant la fenêtre. Elle posa son thé bien trop chaud sur le tapis et se recroquevilla dans son siège. Tous les soirs, c’était pareil. Elle pourrait arrêter la bouilloire à mi-parcours, mais non. Alors qu’elle l’aimait tiède, elle n’arrivait pas à s’y résoudre. Un bon thé était un thé tellement bouillant qu’on ne pouvait y tremper ses lèvres sans en avoir des cloques. Et puis, elle n’irait pas se coucher tant qu’elle n’en aurait pas bu jusqu’à la dernière goutte. Alors cela faisait durer ce moment. Son préféré de la journée peut-être. Un moment hors du temps, où rien d’autre n’existait qu’elle, son thé et son fauteuil. Un moment hors du temps, où tout existait autour d’elle et durant lequel elle pouvait presque sentir les pulsations du monde qui tournait inexorablement autour d’elle, en l’oubliant dans sa course. Juliette aimait la douceur de son vieux fauteuil, rassurant, contenant et le goût sucré de son thé sous la langue. Elle aimait regarder par la fenêtre et décortiquer chaque chose qu’elle y voyait, même si c’était les mêmes chaque soir depuis neuf ans. Elle regardait la cime des arbres qui dansaient doucement dans le vent, les derniers passants qui se hâtaient de rentrer chez eux. Elle avait beau habiter ici depuis presque une décennie, elle n’en connaissait pas la moitié. Elle les avait déjà tous vu bien sûr, mais elle ne connaissait pas leur nom. Elle en avait inventé et s’était parfois imaginée leur vie, mais n’avait jamais pu vérifier si elle était dans le vrai ou pas. Parfois, des éclats de voix lui parvenaient par la fenêtre qu’elle avait relevée pour laisser entrer la brise presque fraiche du début de la nuit. Alors elle tendait l’oreille. Elle n’entendait pas les mots, mais pouvait saisir les intonations. Une maman excédée qui criait sur ses enfants (qu’avaient-ils encore fait ?), un rire, un bébé qui pleure… Tout cela venait alimenter son imaginaire. Et une fois qu’elle avait tout regardé, qu’elle s’était assurée que tout était encore comme la veille et l’avant-veille, elle laissait son esprit se perdre loin, bien loin de là où elle était. Dans la chaleur de son appartement sombre et rassurant, elle laissait son corps prendre le repos dont elle avait besoin et laisser son esprit construire ce dont il avait envie.

Juliette aimait son appartement. C’était l’étage d’une maison qu’elle partageait avec Marthe, une jeune dame d’à peine soixante ans (mais trente dans la tête !). Lorsqu’elle avait débarqué, neuf ans, quatre mois et dix jours auparavant à Last Rainbow ; au volant de sa petite voiture avec dans le coffre une valise et un carton qui contenaient tout ce qu’elle avait voulu garder, elle avait directement atterri au Jo’s Burger dans l’espoir d’y trouver un sandwich pas trop cher et un café pas trop mauvais. Elle en était sortie plusieurs heures plus tard avec le ventre bien rempli, un boulot et, sur un post-it, l’adresse de Marthe. Le patron lui avait plu, le rire tonitruant de Michel aussi. Elle avait besoin d’argent, le restaurant avait besoin d’une serveuse. Le coin semblait tranquille et Juliette aspirait au calme. Alors elle avait dit oui, sans enthousiasme, mais pas déçue non plus. Acceptant simplement une opportunité qui se présentait à elle.

Elle avait toqué à la porte en bois blanc en fin d’après-midi. Marthe avait ouvert quasiment instantanément en lui jetant un regard méfiant. Elle était grande, fine et se tenait droite. Elle respirait la prestance, l’autorité, le charisme, mais aussi un je-ne-sais-quoi, d’apaisant et de bienveillant.

-C’est toi Juliette ? 

Juliette avait hoché la tête, un sourire timide sur le visage. Elle se sentait intimidée par cette femme aux cheveux poivre et sel, tirés en une longue queue de cheval qui retombait sur son épaule, et qui contrastaient avec son visage sans une seule ride.

-Le patron m’a averti que tu allais passer.

Les deux femmes s’étaient longuement dévisagées, se sondant l’une l’autre. Puis Marthe avait souri et ouvert en grand sa porte d’entrée.

-Aller, entre !      

S’en était suivie une longue visite de la maison, pièce par pièce. Marthe avait commencé par le rez-de-chaussée. Même si Juliette ne devait pas y avoir accès, si ce n’est l’entrée de la maison pour accéder aux escaliers qui lui faisait directement face, l’appartement ne disposant pas d’accès indépendant, Marthe tenait absolument à ce qu’elle puisse visualiser où elle allait vivre. Ainsi, d’après elle, il n’y aurait pas de mystères, la curiosité serait tuée dans l’œuf et les deux femmes pourraient vivre chacune de leur côté sans s’occuper de l’autre. « Et puis, avait-elle ajouté, moi je sais où tu vas vivre, il est juste que tu connaisses aussi mon espace ! ». Marthe ne lésinait jamais sur les détails lorsqu’elle racontait une histoire. Chaque pièce avait son lot de souvenir et d’anecdotes et il était, d’après elle, essentiel que Juliette les connaisse. Ainsi, elle apprit que Marthe avait cinquante-et-un ans et qu’elle était divorcée. Elle avait un grand garçon de vingt-sept ans et une jeune fille de vingt-quatre. Lorsqu’ils avaient quitté le nid pour leurs études, Marthe avait d’abord essayé de vendre la maison dans l’espoir de pouvoir racheter de quelque chose de plus petit. Voir, pourquoi pas après tout, dans l’espoir de quitter ce trou pourri et de partir vivre la grande aventure sur l’une des deux côtes du pays. Il n’est jamais trop tard, et l’une ou l’autre lui irait très bien ! Mais personne n’en avait voulu. Personne n’avait même daigné venir y jeter un coup d’œil. Les espoirs de Marthe s’étaient taris aussi vite qu’ils étaient nés et il y a un an, elle avait décidé de mettre le premier étage à la location. Mais là aussi, elle n’avait pas attiré les foules. Seuls deux garçons étaient venus visiter il y avait de ça quelques mois, mais ils n’avaient pas voulu rester. Depuis, c’était silence radio.

-En même temps, je les comprends ! C’est dans son jus, tu vas voir ! Ne t’attends pas à un palace, tu vas être déçue ! Je n’ai fait aucun travaux. Pas même un brin de ménage, alors il faut un peu d’imagination pour se projeter !

Le seul aménagement que Marthe avait concédé à faire, c’était installer une porte en haut des escaliers pour donner un minimum d’intimité à son locataire. Lorsqu’elle avait ouvert la porte, Juliette était restée silencieuse pendant que Marthe lui faisait faire le tour du propriétaire en insistant à chaque recoin sur les inconvénients de telle ou telle chose. Il lui semblait très important que Juliette sache où elle mettait les pieds.

Juliette, elle, n’était pas si catastrophée que sa propriétaire aurait voulu qu’elle soit. Alors oui, c’était un peu particulier. Il y avait quatre grandes chambres, mais pas de cuisine ce qui était très curieux pour un appartement. Mais en même temps, Marthe lui assurait qu’elle pouvait réaménager l’appartement comme elle le voulait. Rien ne l’empêchait donc d’acheter un frigo et un réchaud pour commencer. Cela irait très bien. Non, décidément, l’appartement lui plaisait. Il était grand, vieillot mais pas ringard. Il était entièrement meublé (à part la cuisine évidemment) et Marthe la laissait libre de choisir ce qu’elle désirait garder ou pas.

                -Tu auras qu’à vendre ceux que tu ne veux pas, ça te fera de l’argent de poche ! Avait-elle dit à Juliette.

                La décoration était quasiment inexistante, mais avec de nouveaux rideaux aux fenêtres et une plante par ci, par-là, cela devrait être cosy. Il y avait de l’espace, peut-être un peu trop. Cela serait nouveau pour elle, mais elle était sûre de s’y accommoder sans problème.

                -C’est combien par mois ?

                -Trois-cents. Payable le premier du mois. Ça t’irait ?

                -Et les charges ?

                -Y en a pas !

                Juliette lui avait lancé un regard étonné.

                -La maison est bien isolée, pas besoin de chauffer beaucoup pour avoir chaud. Et tu n’as pas l’air frileuse ou du genre à passer trois heures sous la douche tous les jours. Je fais gaffe. Alors si tu fais gaffe aussi, je les prends à ma charge. Si t’abuses, on verra à ce moment-là !

                Juliette ne répondit pas. D’un seul coup, elle ne savait plus trop.

                -C’est quoi le piège ?

                Marthe éclata de rire ce qui éclaira son visage. Juliette se sentit aussitôt rassurée.

                -Je peux emménager quand ?

                -Décidément, tu me plais toi !

                Juliette avait emménagé le jour même. Elle avait mis du temps avant de réellement prendre ses marques. Les premiers jours, elle errait dans son grand appartement sans savoir quoi en faire. Elle avait commencé par aménager sa chambre. Elle n’avait pas choisi la plus grande, mais celle qui lui paraissait la plus rassurante. Elle était jolie avec un papier peint un peu délavé sur les murs et un grand lit à tête en bois. Elle avait changé les draps, lavé le par-dessus et installé ses vêtements dans le placard. Elle avait également pris possession de la salle de bain en y installant sa brosse à dents et en y changeant les serviettes. Les premières semaines, elle s’enfermait dans sa chambre et n’en sortait que pour prendre sa douche ou aller aux toilettes. Elle ne se sentait pas vraiment chez elle. Et puis elle n’avait pas besoin d’autant d’espace finalement ! Une chambre de taille moyenne et des commodités lui suffisaient amplement.


                Et puis un soir, elle avait commencé à s’ennuyer. Elle avait atterri ici depuis environ six semaines lorsque le patron lui avait laissé un après-midi de libre (pour qui ? pour quoi ? personne n’en savait rien, mais c’était comme ça !). Juliette s’était d’abord promenée dans les environs de sa maison. Mais comme il faisait chaud et qu’il n’y avait rien à faire, elle était rentrée chez elle pour attendre que le temps passe. Mais attendre, c’est vraiment long lorsqu’on n’a rien à faire ou rien à penser. Juliette avait commencé à tourner en rond. Elle avait fait un peu de ménage, mais dans une chambre de quinze mètres carrés, ça va vite ! Elle s’était aventurée à laver les toilettes et la salle de bain, puis, de guerre lasse, elle s’était laissée aller à tourner en rond sur une plus grande circonférence, allant de pièce en pièce à la recherche d’un truc à faire. Elle avait ouvert chaque placard, espérant y trouver un livre oublié ou, même, des aiguilles à tricoter et du fil. Elle n’y connaissait rien, mais essayer d’apprendre l’occuperait peut-être un peu. Mais elle ne trouva rien. Lorsqu’elle eut fini de fouiller la dernière chambre, elle se surprit à penser « mais qu’est-ce que je ferais de cet espace si j’étais chez moi ? ». Elle trouva que c’était un lieu intéressant pour installer la cuisine. Là, sur le bureau, elle pourrait installer un micro-onde et, à côté, une gazinière. Ou une plaque électrique peut-être ? Non, du gaz. Ce n’était pas moins cher, mais au moins, elle ne ferait pas payer le prix de sa cuisine à Marthe qui s’entêtait à ne pas vouloir qu’elle participe aux charges. Elle pourrait elle-même financer ses bouteilles de gaz ! Dans le coin opposé, elle verrait bien la place du réfrigérateur. Une petite table avec des chaises au milieu. Un peu de déco et, si elle osait, un four pour y faire des gâteaux. Qu’est-ce qu’elle ne ferait pas si elle était chez elle ?

                Aussi, avait-elle commencé à démonter le lit qui prenait toute la place et le déplaça dans la plus grande chambre qui deviendrait un genre de débarras de tout ce dont Juliette ne se servait pas. Dans une autre chambre, elle trouva une petite table en rotin accompagnée de deux chaises du même acabit qui seraient du plus bel effet dans sa nouvelle cuisine dépourvue de tout électroménager.
Il était tard lorsqu’elle eut fini de déménager et de réaménager. Trop tard pour aller au magasin acheter de quoi agrémenter sa nouvelle pièce. Elle irait le lendemain. Mais le lendemain, elle n’y alla pas non plus. En discutant avec Michel, elle avait appris qu’il existait quelque chose de fabuleux qui permettait d’acheter des choses pour quasiment rien : les vides maisons. Et à Last Rainbow ce n’était pas cela qui manquait. Alors c’était devenu une habitude et elle avait parcouru toutes les maisons qui se vidaient aux alentours à la recherche des bonnes affaires qui viendraient garnir son nouveau chez elle. Petit à petit, c’est l’appartement entier qu’elle avait aménagé. Une chambre pour dormir, une pour cuisiner (même si elle devait avouer qu’elle avait rarement servi à quelque chose !), une pour stocker. Dans la dernière, elle avait installé un petit salon avec son fauteuil fétiche qu’elle avait déniché pour rien dans une maison désormais dépourvue d’âme et qui le resterait probablement longtemps. Elle avait mis au sol un vieux tapis pour cacher le parquet abîmé et une grande bibliothèque qu’elle avait eu toutes les peines du monde à ramener chez elle. Elle avait chiné de nombreux bouquins qu’elle n’avait jamais eu le temps de lire, mais qui l’attendaient pour le nouvel élan d’ennui qui viendrait peut-être un jour. Un peu de déco : des bibelots sans queue ni tête mais qu’elle trouvait rigolos, des tableaux qui l’aidaient à voyager lorsqu’elle était trop fatiguée, des vases avec des fleurs séchées… L’appartement était éclectique, donnant l’impression d’un joyeux bazar non réfléchi, mais Juliette s’en moquait. Elle aimait chacun de ces objets parce qu’ils lui appartenaient et qu’elle les avait choisis. Désormais, elle se sentait chez elle ce qui n’était jamais arrivé auparavant.

samedi 30 août 2025

Et que ne durent que les moments doux - Virginie Grimaldi

 

Chronique lecture

    Il y a des livres que l’on juge sans même les avoir ouverts. Celui-ci m'a été conseillé par ma mère.

    Au début j'étais un peu sceptique, je ne vous le cache pas. Sans raisons valables. Un apriori infondé sur une autrice que je n’avais jamais lu. C'était bête, mais c’était comme ça.

    Et puis, j'avais le blues parce que c'était bientôt la rentrée. J'avais besoin d'un truc léger, une histoire feel good. Et comme il aurait été vain d'espérer un peu de concentration avec des marmots à la maison, je me suis dit : "pourquoi pas ?".

🌸 De quoi ça parle ?

    C’est l’histoire de Lili qui vient de mettre au monde une petite fille, mais bien trop tôt. C’est aussi l’histoire d’Elise dont son grand fils a quitté le nid et qui doit réapprendre à vivre seule. La première apprend à être mère. La deuxième doit se redécouvrir elle-même.

💭 Mon ressenti

    Verdict ? C’est un de ces récits qui gonfle le cœur de jolis sentiments et qui adoucissent l’âme. Les personnages sont attachants. L’histoire est jolie comme tout et on y entre sans problèmes. Tout est doux et réconfortant. C'est juste et sans chichis.

    Pour résumer, j’ai pris une douce claque et je ne m’y attendais
pas.


En bref : vous pouvez y aller. Les yeux fermés !

mardi 26 août 2025

Roman sans titre - Premier chapitre

“Une vraie rencontre, une rencontre décisive, c'est quelque chose qui ressemble au destin.”

Tahar Ben Jelloun

Bonjour à tous ! 
Les débuts naissants d'un nouveau roman, c'est toujours
trop cool ! L'excitation, l'enthousiasme et bien d'autres émotions super punchy ! Mais seule face à son ordinateur, c'est pas toujours très rigolo et on a envie de le partager ! Alors c'est parti pour le faire vivre ! J'espère qu'il vous plaira !
N'hésitez pas à laisser un petit signe de votre passage et à commenter, que vous ayez aimé ou pas !
A bientôt,

Marie.

 Chapitre 1

-Je peux faire quelque chose pour vous ? Répéta Juliette en haussant un sourcil.

L’homme assis en face d’elle, le regard dans le vide, portait une parka longue, beige et imperméable. Elle jeta un œil vers la fenêtre, dubitative. Qui aurait eu l’idée de mettre un tel accoutrement un jour pareil ? Aucune personne saine d’esprit, ça c’est sûr ! Alors certes, il existait à sa connaissance certain être humain qui aimait être paré à toutes éventualités et qui trimballait constamment de gros sacs à dos contenant toutes sortes de bazars parce qu’« on sait jamais », mais tout de même ! Il n’y avait pas un nuage dans le ciel et il faisait déjà 28° alors qu’il n’était que dix heures du matin. 

L’homme releva la tête et posa sur elle un regard brun noisette, vide, vitreux, fiévreux ? Il entrouvrit la bouche, prit un instant comme s’il cherchait quoi lui répondre, pour finalement affaisser ses épaules, abandonnant toute tentative de communication.

C’était la première fois que Juliette le voyait au diner. Ce qui n’était guère étonnant. Perdu au milieu de nulle part, ce petit établissement propre, mais vieillot n’attirait que peu d’habitués. Seule oasis en bord de route et dernier arrêt avant les étendues désertiques du Nevada, il était à la fois trop proche de l’autoroute pour avoir des clients et trop près de l’autoroute pour avoir des clients. Leurs principaux visiteurs étaient plutôt des routiers lassés des voix prioritaires et en quête d’un peu de calories pour recharger les batteries ou de caféine pour effacer les stigmates d’une nuit au volant, espérant ainsi avaler un maximum de kilomètres avant de devoir déclarer forfait et de dormir recroquevillés dans leur cabine. Ils venaient, ils mangeaient, buvaient, utilisaient les commodités et repartaient comme ils étaient venus, bien souvent pour ne jamais revenir. Juliette haussa les épaules. Si elle exagérait à peine, elle exagérait un peu quand même. Le petit café-restau route comptait tout de même quelques irréductibles qui venaient tous les jours ou presque. Sur la route du boulot pour un café, sur la route du retour pour une bière ou pour un plat vite avalé pour tromper la solitude d’un petit appartement sous les toits. Il faut dire que dans le patelin du coin, qui n’était pas tellement éloigné si l’on avait la chance de posséder un véhicule à roue(s), il n’y avait pas grand-chose à faire, ni grand monde à rencontrer. Les âmes en peine qui n’avaient pas eu la chance de sortir du lycée au bras de l’âme de leur vie n’avaient plus que deux solutions : partir vers d’autres horizons ou s’accommoder de la solitude qui serait certainement la leur jusqu’à la fin. Une troisième option existait pour ceux qui voulaient bien y croire : espérer qu’une âme vienne se perdre dans cette ville sans intérêt. Mais là-dessus, il ne fallait pas trop y compter : les nouveaux arrivants s’arrêtaient tous à Last Rainbow pour les mêmes raisons : la fuite, le silence et la solitude. En résumé, ils venaient s’enterrer ici pour qu’on leur fiche la paix. Juliette en savait quelque chose, c’était son cas.

Juliette reporta son attention sur l’homme qui n’avait toujours pas répondu à sa question. C’était un homme sans âge, les cheveux vaguement poivre et sel, un visage mi-lisse, mi-ridé et une grande fatigue lui lestant les épaules. Rien qu’à le regarder, elle se sentait épuisée. Il était entré dans le diner voilà plus de quinze minutes, d’un pas décidé, et s’était assis au comptoir pour finalement ne rien demander et ne pas ouvrir la bouche. Juliette le regarda, sceptique. Quelque chose, elle n’aurait su dire quoi, la mettait profondément mal à l’aise. Lasse de toutes ces tergiversations qui n’en finissaient plus, Juliette haussa les épaules en affichant un sourire gêné.

-Je vais vous chercher un café. Je ne sais pas si c’est ce que vous voulez, mais c’est certainement ce dont vous avez besoin !

Juliette tourna encore de longues heures entre les tables, prenant une commande par-ci, servant un café par-là, un inlassable sourire figé par l’habitude sur son visage. D’un naturel avenant, elle souriait volontiers, même lorsque le cœur n’y était pas vraiment (ce qui n’arrivait presque jamais). Elle avait aussi le gout du travail bien fait. Elle n’avait jamais compris l’intérêt de faire quelque chose à moitié. Ou de le faire entier, mais de le faire mal fait. Depuis toujours, quoi qu’on lui demande ou quoi qu’elle fasse, elle le faisait correctement et en donnant le meilleur d’elle-même. Que cela lui plaise ou pas. « Fais-le, ou ne le fait pas » avait dit un jour maître Yoda. Cela aurait pu être un de ces maximes que l’on se tatoue sur le bras à l’encre blanche (ou rouge, peut-être, cela pourrait être joli aussi !), pour que toujours l’on se rappelle la ligne que l’on avait choisi de suivre. Quoi qu’il en soit, elle était serveuse. Son travail n’était pas seulement d’amener à un point A ce que désirait quelqu’un, c’était aussi de le faire avec grâce, dignité et humanité. Un sourire ne coûtait pas grand-chose et, il ne fallait pas se mentir, il fallait aussi garder le peu d’habitués qu’il y avait. Peu de chances qu’ils reviennent s’ils étaient confrontés à un dragon mal aimable qui ne montrait ses dents que pour grogner et ronchonner. Aussi, Juliette souriait. C’était son travail et elle avait choisi de le faire correctement.

Elle apporta un grand café glacé avec trois morceaux de sucre et supplément de chantilly à Henri qui attendait sagement à sa table habituelle. Celle près de la fenêtre, qui donnait directement sur le parking. Henri était vieux. Facilement 70 ans. Peut-être plus. Et comme tous les vieux, ou presque, Henri avait peur. Il avait peur de la mort évidemment, de la maladie aussi, parce que comme il le disait lui-même « je ne suis pas tout jeune, le moteur tourne encore, mais les joints sont usés… ». Il avait peur des étrangers, même s’il n’était raciste, attention ! Et par-dessus tout, Henri avait peur des vols et de « ces abrutis de jeunes qui cassent tout » ! Aussi, la place à côté de la fenêtre lui paraissait appropriée pour surveiller sa petite, mais aussi vieille que lui, automobile.  Juliette lui avait indiqué plusieurs fois où se trouvait la caméra sur le parking. Qu’il se gare en dessous et la caméra surveillerait ses affaires pour lui. Ainsi il pourrait s’éloigner un peu du four qui lui servait de table et se rapprocher du climatiseur fatigué qui continuait néanmoins coûte que coûte à rafraichir l’atmosphère du petit café-restau-route. Mais Henri n’avait pas confiance, la technologie, ça pouvait défaillir. Alors que lui, non ! Alors Juliette avait abandonné et se contentait à présent de lui apporter sa commande quotidienne en lui demandant comment s’était passée sa journée. Il répondit comme d’habitude, en haussant les épaules :

-Bof, ni bien, ni mal. Ce n’est plus de mon âge tout ça.

Mais Henri n’avait pas d’enfants, ni de famille d’ailleurs. Alors il continuait de se lever chaque matin à 4 heures pour aller donner un coup de main aux agriculteurs du coin contre quelques dollars qui lui permettaient de rester en vie. Henri avait eu sa propre ferme dans le passé et il n’en était pas peu fier. Il avait déjà raconté à Juliette à maintes reprises les pierres blanches, l’herbe roussie par le soleil, le vêlement des veaux qui ont trop chaud et le plaisir de parcourir chaque jour la caillasse qui est à soi. Puis le temps avait passé, l’argent avait commencé à manquer et Henri avait vendu sa ferme en espérant que cela suffise pour ses vieux jours. Spoiler ! Cela n’avait pas suffi alors il avait recommencé. L’herbe jaunie, le vêlement des veaux, parcourir la caillasse. Mais cette fois, cela n’était à lui mais aux fils de ses anciens voisins qui l’avaient toujours connu et pris en affection. Juliette les soupçonnait parfois de lui donner un peu plus que ce que méritait réellement son travail, mais tant mieux ! Cela signifiait que l’humanité existait toujours !

Henri porta ses lèvres à son verre et sourit de contentement en remerciant Juliette. Elle lui répondit, comme d’habitude, par son traditionnel « à ton service ! » et repris la ronde des tablées. Les routiers ne tarderaient plus à s’en aller pour laisser place aux compagnons du quotidien qui débauchaient petit à petit et les uns après les autres. Juliette, elle, ne débaucherait que tard ce soir, une fois le dernier habitué partit et le patron arrivé pour prendre le relais.

Elle servit une grande assiette de frites à une femme qui lui paraissait grande comme un immeuble de trois étages, une salade à un jeune homme en costume cravate qui s’était probablement perdu mais qui n’osait pas demander son chemin (ou qui était trop fier pour le faire !) et un certain nombre de tasses de café et de verres de soda glacé. Et parmi le va-et-vient régulier de ceux qui entrent et ceux qui partent, l’homme à la parka beige était toujours là.

Il n’avait pas bougé. Il était toujours assis à la même place, dans la même position. Il n’était pas allé aux toilettes, n’avait pas enlevé son manteau et n’avait pas touché au sandwich que Juliette avait cru bon de lui apporter. En revanche, il avait bu toutes les tasses de café qu’elle lui avait donné. A chaque tour de salle que Juliette faisait de son mieux pour vérifier que chacun avait son compte, elle ne pouvait s’empêcher de lui jeter des regards curieux. Même de dos, cet homme semblait porter le poids du monde sur ses épaules. Qu’attendait-il pour partir ? Ou pour dire quelque chose ? N’était-il pas attendu ailleurs ? Peut-être pas… D’ailleurs, c’était peut-être ça le problème.


lundi 25 août 2025

Salut toi !

Bienvenue ici ! 

    Peut-être t'es tu perdu dans les méandres d'internet pour arriver ici ou peut-être es tu arrivé là à dessein ? Quoi qu’il en soit : entre, je t'en prie ! Tu n'as rien à perdre ! Sauf peut-être un peu de ton temps (mais promis, je ferai de mon mieux pour qu’il soit bien utilisé !).

    Je m'appelle Marie et j'aime les histoires. J'aime les lire, j'aime les raconter et j'aime les imaginer. J'aime aussi essayer de les écrire. 

    Ici, tu trouveras mes élucubrations, mon bazar émotionnel, mes tentatives parfois vaines de mettre en mots une idée, une émotion, des maux. Tu pourras suivre les débuts de mon roman. Mes joies, mes peines, mes angoisses. Et le tout sans filtres (et avec beaucoup de caféine s'il te plaît ! ☕), avec humour et sincérité.

    Alors assieds-toi confortablement… et c’est parti ! 🚀